jeudi 9 octobre 2008

Suzanne Vega. Rock School Barbey 8 Octobre 2008


J'ai un problème avec les concerts, en général je passe les deux heures qui le précèdent à me demander si ça va bien se passer, si il va avoir lieu, si le chanteur va pas être malade ou aphone ou en pleine bagarre avec le reste du groupe pour une sombre histoire de T-Shirt flous. C'est ainsi que le 8 Octobre à 19 heures je suis à Bordeaux, cours Barbey, à me poser douze mille questions stupides tout en tentant d'exorciser mes craintes en écoutant The Last Shadow Puppets.

Les portes s'ouvrent, j'entre dans la salle (je n'avais plus fréquenté la Rock School Barbey depuis la fin de mes études universitaires en 92, je dois dire que je ne suis pas convaincu par la nouvelle disposition de la salle). Le moment le plus important d'un concert, c'est celui où l'on choisit sa place, ce soir je suis au centre de salle, dans l'axe du micro, accolé à l'escalier menant aux gradins.

Le noir se fait, une voix nous annonce "Welcome to New-York City, here's Suzanne Vega". Arrive notre star, toute de noir vêtue (chapeau, veste et pantalon + un magnifique T-Shirt Gene Harlow), flanquée de Jeff Leonard qui lui sert de soliste. Pour commencer le concert, Marlene on the Wall, une des premières chansons que j'ai aimé.

Je ne vais pas vous faire la playlist complète (ce qui m'est impossible, un ou deux titres ayant échappés à ma vigilance) mais le concert s'est déroulé dans la plus grande simplicité, enchaînement de titres tous plus accrocheurs les uns que les autres (Franck and Ava, New york is a Woman, Luka en version ralentie) et d'interventions à la fois drôles et touchantes (d'un running gag sur les progrès de Suzanne en français à une explication de in Liverpool et du nombre de chansons qu'elle écrit pour les gens qu'elle aime).

La première partie du concert se finit par Tom's dinner, chantée a capella comme il se doit, avec l'aide du public, certains fredonnant lors des refrains, la plupart se contentant de taper dans leur mains. A la fin du morceau, lorsque Suzanne prononce le cathedral, un effet de reverb dans le micro suffit à donner a la chanson un coté biblique fort mérité. Après nous avoir remercié et dit au revoir, Suzanne revient nous donner trois titres en rappel (dont Calypso, je ne m'étais jamais rendu compte à quel point cette chanson est forte et simple à la fois).

Les lumières se rallument après une heure et demie de bonheur simple et intense, et je repars avec des rêves pleins la tête (principalement à cause du concert, mais aussi parce que je suis épuisé) et heureux comme jamais. Pour tout ceux qui veulent passer une vraie bonne soirée, je n'ai qu'un conseil à donner, c'est d'aller voir Suzanne Vega.

Presse-Musique 2 (octobre 2008) - VIBRATIONS: perte de signal.

Comment ce canard caquetant plutôt fier s'est-il retrouvé ainsi le bec dans l'eau ? Enfin un canard... en voilà un qui ressemble plus à un pigeon déplumé désormais; ils ont beau le tremper tous les mois dans le pot de peinture World, rien à faire, plus très vigoureuse la bête. Cette histoire - ce slogan - selon laquelle "plus une musique est métissée plus elle est belle" - forcément - commence à s'user d'elle même - limite à nous péter les glaouïs, si je puis m'exprimer ainsi.

Il y a quelques années, le mag VIBRATIONS étonnait par son éclectisme intelligent. On ne snobait pas le mainstream tout en gratouillant du côté des marges. Même si le rock le plus musclé n'a jamais été fortement plebiscité (contrairement au Hip-Hop), du moins laissait-on parfois sa chance à l'expérimental, aux curiosités soniques de nombreuses coteries. Florent Mazzoleni, en spécialiste, causait vieille soul ou néo-folk avant tout le monde. Phillipe Robert osait même les radicalités drones - consulter son Best Of de fin d'année conduisait à des découvertes parfois absconses. Las, ces Messieurs ont quitté la bête, M. Robert aligne les ouvrages de référence brillants, et Mister Mazzoleni se consacre principalement aux Black Music éclatantes.

Il demeurait encore il y a peu une raison de ne point désespérer, à savoir les papiers furieux de Gilles Tordjman, cet homme, affligé par ce qu'il nomme "l'autisme critique", un sniper, un type qui n'hésitait pas à rapprocher le clavier de Scarlatti au manche de Jimi Hendrix. Au regard du reste de la rédaction mollusque, Tordjman prenait la dimension de terroriste du verbe.

Que reste-il de nos amours ? Un panorama de musiques du monde, électro, dont on vante à longueur de colonne les vertues assimilantes - pas de place pour les rocs et les roulis, pour les dressés fiers, les anormaux. Du lait fraise, une vitrine d'agence de voyage en chansons pour oreilles pas si bêtes mais assoiffées de lisse. VIBRATIONS est une parution Suisse, elle ressemble désormais à cette bourgeoisie hélvétique ne jurant que par le voyage géographiquement lointain, ultime et unique forme de culture.

Une division de mes bataillons sensibles m'empêche cependant de ne produire qu'une méchante bile sans donner en sus une ou deux pistes optimistes. Intéressez-vous donc au travail des journalistes cités plus haut, consultez d'anciens numéros. Et puis il a ces deux petits îlots, toujours disponibles à ce jour: la chronique américaine de John Lewis, et le billet de Jackie Berroyer, qui l'air de rien, balance parfois en fin de chronique une référence discographique particulièrement iconoclaste; son dernier exploit en date : parler du nouvel album d'Albert Marcoeur, surnommé parfois le Zappa français - plutôt trempé dans le Rock In Opposition en vérité - expérimentateur de l'élasticité des mots et d'étranges échos.

*Un peu plus vif que le magazine lui-même: le Site de VIBRATIONS
*A écouter, Albert Marcoeur
*A Lire, les ouvrages de Philippe Robert: Rock, Pop, Un Itinéraire bis en 140 albums essentiels - Musiques expérimentales, une anthologie transversale d'enregistrements emblématiques - Great black music, un parcours en 110 albums essentiels -

mercredi 8 octobre 2008

Concert complet au Sin-é


J'aime les plaisirs simples. Je m'émerveille toujours devant l'anodin, le retour du printemps, les rires d'enfants, les magnétoscopes qui fonctionnent correctement. Je cultive le goût du moment, de l'instantané, j'ai une partie de ma bibliothèque mentale uniquement consacrée à ces instants bénis de mon existence qui intègrent deux critères drastiques : ne pas dépasser les trois secondes et définir un sentiment profond.

Par exemple, il m'arrive plus ou moins régulièrement de rencontrer des gens. Je parle d'inconnus, de têtes jamais vues. Parfois nos chemins ne se croisent que le temps d'un Gare de l'Est - Strasbourg Saint Denis, parfois il s'agit de futurs compagnons de longue durée. Une aura semble s'installer juste avant de commencer à lire le langage de leur corps, avant de parler. Il peut advenir n'importe quoi. La plupart du temps, les instants qui suivent plombent l'ambiance, les promesses du destin déçoivent. Mais parfois, c'est le contraire, la complicité ou la surprise s'installe, hourra, la journée n'aura pas été vaine.

Qu'ont donc pensé ces buveurs de café en voyant débouler Buckley, qui n'avait encore rien sorti à cette époque ? Ce petit ténébreux à la moue travaillée et au regard nonchalant. Allait-il gémir de la folk, aligner des recettes pop ? Pas du tout. En deux heures, le bonhomme reprend Led Zeppelin et Calling You (mais si, le tube inchantable tiré du film Bagdad Café que personne n'a vu), parodie les Doors, lance des vannes, s'amuse les doigts, cherche des notes, parle aux dieux sur tous les tons : gospel, jazz, arpèges, blues crades. Il tenait toutes ses promesses. Y compris celle d'aller trop vite.

J'espère que ces veinards ont bien enregistré tout ça dans leur bibliothèque mentale.


Concert au Sin-é


Selon la physique quantique, la matière est, paradoxalement, principalement constituée de vide. Fort de ce postulat on ne peut plus scientifique, c'est avec un aplomb non dissimulé que je vais proclamer un autre paradoxe : la musique se compose principalement de silences. Ces trucs qui ne ressemblent pas à des rondes mais à des monolithes noirs, accrochés aux lignes tels des ardoises vierges. Il y en a plusieurs sortes ; du long silence introductif qui mène à une plainte, en passant par celui qui suspend le temps avant de mieux relancer tout le monde simultanément, celui qui soupire, celui qui conclut une gamme à la recherche des ultra-sons, c'est-à-dire l'inaudible.

Avec sa voix d'ange, son jeu de guitare divin, sa reprise de Hallelujah et un album unique nommé Grace, Jeff Buckley avait tout pour devenir un objet de culte. Surtout qu'il avait tout compris aux silences. Dès Mojo Pin, ce titre qui parle d'un rêve, sa voix monte jusqu'à se taire tandis que les cordes font des harmoniques toute seule, et le blanc qui suit ressemble à s'y méprendre à une conclusion orgasmique, loin, en apesanteur, avant de tomber en chute libre, les oreilles bourdonnantes.

C'est parce qu'il est seul, dans ce café, accompagné de sa seule guitare, que la démonstration est frappante. On a beau y entendre les tasses de café tinter, on a beau savoir que le public n'était qu'une troupe de journalistes, de directeurs artistiques, invités à lancer le nouveau Kurt Cobain version romantique via ce quatre titres, Buckley éblouit. Tout est là, déjà : la dilatation du temps, l'entité homme-guitare, l'improvisation pertinente, les influences variées (Edith Piaf et Van Morrison), la voix, le théâtre.

J'attends toujours les coups de bâtons qui martèleraient le lino de ce bar sans doute branché avant que le phénomène n'entre en scène. Ces coups qui invitent le public au silence : savourez l'instant.