vendredi 4 octobre 2013

En concert à Leeds


Depuis les débuts de mon addiction au rock et à la musique en général, une idée a toujours été tapie près de mes préférences, jamais totalement vraie mais très juste pour autant : je hais le rock américain. Pourtant je vénère des tonnes de groupes américains : Pixies, The Stooges, The Doors, Pavement, The Velvet Underground, The Strokes, Blondie, Television, Liars, Primus, The Smashing Pumpkins, Public Enemy, Sonic Youth, Elliott Smith, Hendrix, etc... Sans doute parce que ces groupes ne représentent pas le son du rock américain, celui des hippies et des joueurs de blues sirupeux, celui qui joue super bien et qui cumule les hymnes un peu faciles. Ce rock américain, je ne le supporte pas. J'aime certains de ses titres chez les Guns n' Roses ou Bon Jovi, par nostalgie, pour le fun, pour la fête. Même les très bons Pearl Jam et Alice In Chains ne m'émeuvent pas. Ils ont ce son enfouis dans leurs racines. Mes groupes américains préférés sonnent comme des Anglais.

Pas uniquement dans sa nationalité, mais dans son esprit : révolté, humoristique, exubérant, bruitiste. The Who, groupe formé dans les années 60, préfiguraient déjà les punks et le hard avec humour et bonne humeur. Le hard car les quatre voyous qui composent les Who tapent comme des sourds et que c'est leur batteur Keith Moon qui a trouvé le nom du premier groupe de rock lourd (heavy) : Led Zeppelin. Punk car ce sont des voyous, justement.

En atteste une anecdote relatée dans une réédition de The Who Sell Out. Alors qu'ils enregistrent à New-York, leur titre Rael I est quasi enregistré en une journée. Mais la femme de ménage qui s'occupe du studio jette la bande à la poubelle. Le lendemain, l'ingénieur du son découvre horrifié l'état de la bande : les quinze premières secondes sont inutilisables, il va falloir refaire les prises. Lorsque Pete Townshend, guitariste, compositeur, auteur et chef de gang arrive au studio, l'ingénieur le prend à part et tente de lui présenter les choses avec tact. Il conclut son laïus par la pire des banalités, "Ce sont des choses qui arrivent." Pete Townshend entre alors dans la salle de la console, attrape une chaise et la jette en travers de la vitre qui sépare la pièce du studio d'enregistrement, causant pour plus de 12 000 dollars de dégâts. Il se retourne vers l'ingénieur et lui dit "Désolé, ce sont des choses qui arrivent."

Comme le dit le chanteur du groupe Roger Daltrey, ils étaient juste des "scumbags". Des types qu'il valait mieux ne pas chercher, rageurs et excités, John Entwistle le bassiste étant surnommé The Ox (le boeuf) et Keith Moon, le batteur, ayant sûrement façonné le modèle du batteur du Muppet Show, condensant tous les clichés du rock'n'roll : alcoolisme, drogue, jets de télé, dévastation de chambres d'hôtels, de bagnoles, et chères en plus. La vengeance du prolétariat sur les riches, des sales gosses cassant tout, pour le plus grand bonheur de toute la population. La révolution hippie et sexuelle battait son plein, bref, c'était parfait.

The Who possèdent également l'alchimie unique qui fait qu'un groupe fonctionne. Ce ne sont pas de grands musiciens, mais ce sont d'immenses rockers. Townshend écrit des opéras-rock, Moon ne s'arrête jamais de fracasser ses batteries, qui plient toutes sous ses assauts, Entwistle martyrisent ses cordes et Daltrey se sert de son micro comme d'un lasso. Ils avaient tout, l'attitude, les mélodies, l'énergie ; des pionniers.

Ce Live at Leeds résume tout ce que j'aime chez eux. C'est un des disques que j'ai le plus écouté, et le seul que j'ai en trois exemplaires : en vinyle (avec six titres), en CD version 14 titres, et enfin la version Deluxe qui reprend la quasi intégralité de ce concert, qui a eu lieu dans le réfectoire de l'université de Leeds, devant environ deux mille personnes : les conditions idéales en somme. J'ai écouté leur pendant, le concert qui eut lieu à Hull sur la même tournée avec la même setlist ou presque : c'est moins bon. Mais il m'est difficile d'être objectif, le Leeds fait partie intégrante de ma personne (dans les hanches peut-être ?). Et chaque nouvelle édition était meilleure que la précédente.

Rapidement, l'écoute de Tommy n'a pas tenu la longueur. Mais repris en intégralité pendant ce set, avec simplement trois micros, une basse, une guitare et une batterie, il sonne dix fois mieux. Trois instruments, et vous jouez ce que vous voulez, de la musette, du blues, du rock, tout.

Et puis Pete Townshend raconte des histoires, présente les morceaux, rigole avec ses copains, et j'ai à chaque fois l'impression d'être devant eux, de toucher les riffs de basse et les roulements de batterie. Plus qu'un morceau d'histoire, c'est le meilleur cours de rock jamais donné.