Avant l'avènement du numérique, avant les concerts complets sur les chaînes musicales de télévision ou du web, l'album live était une consécration. La finalité d'un groupe qui avait une certaine reconnaissance. Souvent trop produit, le live perd beaucoup de la spontanéité de la prestation, de l'ambiance, de sa valeur réelle. Du coup, comme beaucoup, j'ai souvent préféré les pirates, les bootlegs, les concerts à la radio que j'enregistrais sur mes cassettes (K7) Chrome ou Metal de deux fois quarante-cinq minutes.
Quelle chance maintenant : tous ces concerts disponibles, en bonne qualité, qui permettent de se faire une idée du niveau et du genre. Et franchement, techniquement, tout le monde est meilleur. Mais tout le monde est un peu formaté aussi. La pop-folk fonctionne ? Des dizaines de groupes se créent et diffusent immédiatement leurs créations dans ce style, avec un clip sympa à la clé. Beaucoup de savoir-faire, beaucoup de professionnalisme mais peu de fraîcheur, peu d'originalité ; parce qu'on ne peut pas tout avoir. Par contre, le live n'a plus ce statut d'album désiré et redouté, et n'est plus une compilation de diverses dates, mais une date entière. Pearl Jam et d'autres vendaient les clés USB du concert de la soirée à la sortie, pour pas grand chose : voilà le meilleur cadeau qu'un spectateur puisse se faire. Autre avantage : celui de savoir si le groupe vaut ses disques. Pas que cela ait autant d'importance (les concerts des Beatles sont pas loin d'être inutiles), mais ça évite les mauvaises surprises, les désillusions. Et un groupe qui ne semble pas intéressant peut devenir un bon moment de concert.
Mon premier Television fut ce pirate, un live qui avait été diffusé à la radio. A l'époque, le bootleg avait un son approximatif et brouillon, des passages coupés, un ordre différent et un titre erroné (Glory au lieu de The Dream's Dream). Grâce à cette réédition de Rhino, tous ces défauts sont des souvenirs. Même après avoir écouté Marquee Moon et Adventure, ce live resta mon chouchou. Toutes les versions présentes sont meilleures que les originales, à l'exception de (I Can't Get No) Satisfaction, qui prouve que Jagger est une des plus belles voix du rock et que Keith Richards avait le sens du riff. Mais Tom Verlaine et ses acolytes s'amusent bien avec ce standard, concluent un concert avec un retour aux sources du garage, de l'amusement. Loin de leur musique sophistiquée qui n'est ni du jazz, ni du progressif, ni du punk arty duquel ils émergèrent, mais un peu tout cela à la fois.
Quatre musiciens pas si musicaux que ça : Tom Verlaine n'a pas une voix très agréable qui flatte l'oreille, Richard Lloyd fait des fausses notes, Billy Ficca flotte parfois dans le rythme. On est loin de la maîtrise de The Police sur Regatta de blanc. Le propos est ailleurs. A l'instar du Velvet Underground, en utilisant leurs faiblesses ensemble, Television délivre un son unique, qui inspirera bien des groupes post-punk, à commencer par Sonic Youth, puis plus loin, My Bloody Valentine. Leurs digressions guitaristiques et leurs envolées instrumentales n'ont pas de réelle concurrence, et ils ne parviendront jamais eux-mêmes à égaler cette période.
Le concert commence avec une improvisation bruitiste, chacun dans son monde, cherchant peut-être à s'accorder, à chercher une note nouvelle, une impulsion. De la musique de chambre avec des guitares. Puis un riff d'intro et un break de batterie lancent la bande dans un rock énergique mais romantique, jusqu'aux dernières notes de Marquee Moon, le morceau fleuve bordé d'oiseaux et au riff décalé. Je le répète : même cette version est supérieure à la version studio. The Old Waldorf semble être une petite salle, avec un public restreint. C'est tant mieux, les meilleurs concerts ont lieu dans ce type de salle.