lundi 29 décembre 2008

Une heure par semaine: My So-called Life



De tous les univers explorés par les séries télévisées, celui qui a le plus souffert du traitement apporté par les scénaristes est sans contestation possible le monde de l'adolescence. S'il est tout à fait possible de citer en moins de dix secondes au moins 5 séries policières ou médicales de très bon niveau, la tâche devient très difficile quand il s'agit de nommer des séries pour ou au sujet des adolescent. En fait, avant le début des années 90, parler du sujet ne se conçoit que sous deux angles, soit un sitcom regroupant tout les stéréotypes imaginables du teen-ager, du petit génie au boy-scout en passant par la féministe et le couple idéal Cheerleader/Capitaine de l'équipe de football, soit une comédie dramatique diluée dans l'eau de rose jusqu'à l'écoeurement.

Aussi, lorsque ABC programme pour la rentrée 1994 une série nommée My So-called Life, personne n'y prête réellement attention. Les producteurs sont connus pour avoir déjà travaillé ensemble sur la série the Wonder years, évocation de l'enfance durant les années 60, mais le sujet traité n'incite pas réellement à l'enthousiasme, toutes les tentatives précédentes n'ayant jamais abouties à de vrais réussites. Pourtant cette fin du mois d'août va marquer un tournant dans le traitement des séries pour adolescents.

La base de l'histoire est la même que pour toutes les séries du genre, Angela Chase, âgée de 15 ans, est lycéenne dans la ville de Liberty, située dans la banlieue de Pittsburgh. Ses journées se passent entre les cours, les amis et la recherche du grand amour, qui prend ici les traits d'un garçon plus vieux de deux ans, Jordan Catalano. Celui-ci ne la remarque absolument pas, comme elle ne voit pas que Brian Krakow, son voisin, est totalement fou d'elle. Quand on rajoute au tableau des parents dépassés par la métamorphose de leur fille on obtient plus ou moins une série typique sur le sujet, avec une marge de manœuvre que l'on pourrait qualifier de réduite.

Néanmoins l'angle pris par le trio Herskovitz Zwick Holzmann apporte une vraie nouveauté en ceci qu'au lieu de choisir les personnages dans les franges les plus populaires du lycée, la loupe est posée sur ceux qui sont habituellement les oubliés des scénarios, les gens ordinaires. Ici pas de sportifs et de cheerleaders, pas de beau gosse au sourire ultra brite, mais des gens normaux définis par leurs défauts et leurs craintes.

Angela se trouve beaucoup trop banale pour être séduisante, et la peur que lui inspire le regard des autres est le principal obstacle entre elle et Jordan. Ses deux meilleures amies sont Rayanne Graff, élément perturbateur du lycée qui enfouit son besoin de figure maternelle sous un comportement provocant et des litres d'alcool, et Sharon Cherski, qui développe un complexe vis à vis de son physique trop avantageux et une peur panique des relations humaines. Du coté des garçons, Jordan est miné par ses difficultés scolaires et cache le fait qu'il est incapable de lire, Brian souffre d'une timidité dévorante qui l'oblige à cacher ses sentiments derrière une attitude quasi dédaigneuse et utilise son appareil photo pour ne pas avoir à se dévoiler, Rickie Vazquez, qui affiche trop ouvertement son homosexualité pour réussir à l'assumer et cache des blessures intimes derrière son maquillage et ses tenues bariolées.

Ceux qui pensaient trouver un support du coté des parents seront là aussi déçus, les Chase sont trop en proie à leurs propres problèmes pour pouvoir gérer ceux de leurs filles (Patty reproduit avec ses parents le comportement de sa fille vis à vis d'elle et Graham souffre du fait qu'il travaille sous les ordres de sa femme), la mère de Rayanne se comporte plus comme une meilleure amie que comme une vraie mère, celle de Sharon n'est jamais présentée sous un rapport d'autorité familiale, les autres parents étant au mieux absents.

Tous ces personnages sont portés par une interprétation de très haut niveau, emmenée par le couple vedette Claire Danes et Jared Leto, servis par des seconds rôles excellents (dans l'ordre de citation des personnages Devon Gummersall, AJ Langer, Devon Odessa, Wilson Cruz, ...) et une écriture juste et loin des idées reçues, bien que n'évitant pas certains écueils (un épisode évoquant trop Dead Poets Society par exemple). Il est à noter que Claire Danes, découverte par les producteurs dans un épisode de Law & Order, est plus jeune que le personnage qu'elle interprète dans la série (13 ans au début du tournage contre 15 pour Angela Chase), ce qui est un cas quasi unique, les lois sur le travail des mineurs incitant les chaînes à prendre de jeunes adultes pour jouer des adolescents.

Dès le premier épisode, les critiques saluent unanimement le travail réalisé par les producteurs et font de la série une de leur favorites, de même que les téléspectateurs qui la regardent sont parmi les plus fidèles. Malheureusement, les audiences sont inférieures aux attentes d'ABC qui écourte la première saison à 19 épisodes. Après la diffusion du final, alors que les attentes des fans sont pressantes, la chaîne joue la montre et retarde au maximum sa décision quand au renouvellement du show. Claire Danes, lassée d'attendre une réponse, décide de donner son accord à Baz Luhrmann pour jouer le rôle de Juliette dans sa version de la pièce de Shakespeare, laissant ainsi le champ libre pour l'annulation de la série privée de son personnage principal.

Le traumatisme est d'autant plus grand chez les inconditionnels de la série que de multiples pistes avaient été lancées pour une deuxième saison et restent ainsi en suspens. Parmi les fans éplorés, un jeune scénariste nommé Joss Wheddon se fit la promesse que, si d'aventure il venait à travailler pour la télévision, jamais il ne finirait une saison sur une situation ouverte sans avoir la certitude de revenir un an de plus pour la conclure. Et il a toujours tenu parole depuis.

samedi 27 décembre 2008

Bibliothèque rose



Je ne sais pas si cela vous arrive, mais de temps en temps j'ai l'impression d'être poursuivi par un album. De par ma nature curieuse, je lis beaucoup de magazines consacrés à la musique et je consulte beaucoup de blogs et de webzines dédiés à cette passion. Et où que j'aille il est là. Je n'y fais pas attention tout de suite, son nom traîne dans un recoin de texte qui parle de quelqu'un d'autre, puis, en y regardant de plus près, j'aperçois une image familière ou un nom qui ne m'est pas totalement inconnu. Et chaque fois que je me retourne, il est là, il me regarde, il m'épie.

Cette année mon chasseur m'est venu de Suède, porté par une rumeur impressionnante. Depuis le mois de Janvier, les gazettes narraient l'aventure d'une jeune demoiselle qui, épaulée par Björn Yttling (un tiers de Peter, Björn and John), venait de sortir son premier album avec la ferme intention de devenir célèbre et de remplir les pistes de danse. Dans un premier temps le nom ne revenait que de loin en loin, ce qui fait que je ne l'ai retenu que tardivement. Vers le mois d'avril la rumeur s'est faite plus pressante, pour finir par l'inévitable coup de grâce, qui a eu lieu en deux temps au mois de Juin.

Sur le commentaire d'une vidéo d'un groupe (paradoxalement j'ai oublié qui c'était), une personne conseillait aux fans de trouver et de lire une interview accordée au New York Times sur les disques que les membres du groupe écoutaient durant leur temps libre. Le premier disque cité était celui de Lykke Li, Youth Novels. Dans la foulée j'entendais la chanson Dance, Dance, Dance, sur une web radio. Étonné par cette coïncidence je me suis procuré cet album qui m'avait fait de l'œil si longtemps.

Dès la première chanson on est saisi par la légèreté de la musique et par la voix quasiment diaphane de Lykke Li, chaque titre étant autant une invitation à la danse qu'une introspection de la part de l'artiste (Let it Fall parle du fait qu'elle adore pleurer, This trumpet in my head de son obsession pour un instrumental). A mi-chemin entre l'acoustique et l'électronique, rempli de bruitages faits maison et de nappes de claviers, l'album semble passer comme un songe, appuyé par une voix presque inaudible par moments, comme un murmure à l'oreille.

Depuis maintenant six mois que je me suis laissé prendre, je n'ai jamais regretté de m'être attardé un jour sur cet album que j'aurais pu ne jamais croiser. Si vous aussi vous voyez un album vous suivre, attendez-le.

samedi 20 décembre 2008

Le souterrain de velours & Nico



J'écoute un disque. Inutile de se voiler la face, derrière cette simple phrase s'en cache quelques autres qui ne se prononcent pas si facilement. Laissez-moi tranquille. Je veux être seul. Je veux partir. Je veux rêver. Je me sens seul. Parlez-moi. Je veux disparaître. Je m'en fous.

Cela marche quasiment avec tout. Il suffit de connaître le sentiment du moment : colère, tristesse, excitation, joie, paresse, fatigue, jeu. La musique le souligne comme elle lie les chants ou les oreilles, comme si elle pointait du doigt l'ambiance. Voilà pourquoi rien n'est pire qu'un disque imposé dans une salle des fêtes : l'inverse ne fonctionne pas pour autant.

Parce qu'avec une équipe de bras cassés autour d'un mannequin aussi anguleuse que sa voix, avec une attitude à l'encontre même de son époque, le tout parrainé par le pape du pop-art, The Velvet Underground & Nico a remis les pendules à l'heure : réveillez-vous, endormez-vous, fouettez-vous, on s'en fout, mais surtout, arrêtez d'être des spectateurs. Regardez, nous. Ridicules, pédants, croyez ce que vous voulez, peu importe, écoutez-nous, voilà l'important. Une chanson pour le soleil, une autre pour les ténèbres, une autre pour la danse, une autre pour les pertes de sens, on fait tout, on connait tout sans rien connaître. Suivez-nous.

Depuis, nombreux sont les enfants du Velvet. Souvent pour le pire, mais aussi souvent pour le meilleur, ils tentent de souligner l'ambiance, pointer du doigt le sentiment, pas de le provoquer. Ceux-là, seuls, sont nos amis.



vendredi 12 décembre 2008

Nuit de terreur


Je tiens la preuve. Cette maîtresse parfois traîtresse qui transforme certaines discussions en débats houleux, laissant les bretteurs frustrés et contrariés, m'a valu de sales fins de soirées, tout comme des moments inestimables. La passion. Mais passons, puisque là, j'ai la preuve. La preuve qu'on peut toujours croire en de parfaits inconnus habités par le bon goût et une personnalité remarquable. Leurs oeuvres parlent pour elles.

Il y a donc moins de douze mois, en 2008 - je vous le rappelle au cas où -, un trio composé de deux sexes et de trois instruments mélangeait les Melvins à My Bloody Valentine en lorgnant sur les choeurs et l'énergie des Pixies et sortait Night Terror, un album droit dans ses bottes, le pas assuré, qu'il soit lévrier ou éléphant, et traversait sa première épreuve l'air de rien, la tête vide du moindre doute. Alors que non, moins de douze mois plus tard, il devient évident que Night Terror n'est pas vide. Serein, mais sans concession. Entier, mais multiple. Libre.

La preuve que la formule magique n'existe pas, que la définition même de qualité n'a aucun sens lorsque, au détour d'un échange passionné, sort le mot création. Merci, Helms Alee. Merci de devenir une carte dans ma manche, de faire un disque joyeux pour crypto-dépressifs, de recycler sans plagier. C'est la fête, et elle se finira banane aux lèvres.



mercredi 3 décembre 2008

Rue Murray



Il faut que je range mes disques. C'est la bonne période : il fait froid, il pleut, il neige, il gèle, personne n'a envie de sortir, il fait nuit tout le temps, y a plein de lumières agressives. Ca me permettra de regarder l'important en face, de nous retrouver, eux en tas (je n'ai plus de cartons) et moi essayant de les caser. Et puis c'est l'heure des bilans, or celui-là, je ne l'ai pas fait depuis longtemps, même si je le connais et l'appréhende : que du classique. C'est aussi l'heure du changement, autant chambouler l'ordre alphabétique et séparer les torchons des serpillères, ô fière audace, je vais te faire descendre de ton piédestal. Je vais faire un classement subjectif.

Par exemple, lorsque un artiste ou un groupe chéri aligne toutes ses galettes à la maison, je me rends compte que tout n'est pas bon. Sur la fin, souvent - mais pas systématiquement, je déteste les généralités - ça boudine, ça répète, ça baudruche. Et puis tous ces disques très bien qui ne comptent pas dans ma vie, à moi, la mienne, ma vie, mon histoire, alors que ce disque là, unanimement honni, ou ignoré, ou moins bien noté par les spécialistes, l'accessoire, le trivial, lui, il a compté, il compte encore, je dois le bannir aussi ? Le noyer à côté des albums fréquentables - ceux qui parfois ne comptent pas -, le rabaisser ? Il a le droit de parader fièrement, il n'a pas à rougir. Ca, ça va être du classement révolutionnaire.

J'imagine mal séparer mes Sonic Youth. D'abord parce que je suis loin de tous les avoir, et ensuite car je ne les connais que peu. Pourtant je les ai écoutés, et plus d'une fois. Et plus de dix fois. Seulement, lorsque des types pas sexy (quoique Kim Gordon... bref, passons) à tous points de vue, aucune attitude, aucun look, aucun gimmick, arrivent avec une nouvelle grammaire musicale, et bien il faut se déshabiller, se mettre à nu, redevenir vierge. Présenter son humilité sans être humilié, puisque sonique convient, puisque la recherche s'apparente aux serpents du jazz mais dans l'esprit uniquement, et non dans la technique de jeu. Dans l'abandon.

J'aime beaucoup ce Murray Street. Il est court, il n'a que sept titres, il représente bien le groupe : audible et mélodique mais aussi terrifiant et inquiétant. Je l'ai beaucoup écouté, et je ne le connais toujours pas. Je sais juste que lorsqu'il va tourner, il va me plaire, mes oreilles vont fondre, mon esprit vagabonder, les nuisibles vont disparaître. Je ne connais aucune parole mais je suis sûr que quelque part, on peut entendre distinctement Thurston Moore dire combien il se fout de ce que pensent les rock-critics, que ce soient les fans ou les moqueurs ; on peut les voir accueillir l'ami Jim O'Rourke à bras ouverts, on peut sentir les tasses attendant sagement sur les amplis, on peut deviner le nombre de disques qu'ils doivent ranger après l'enregistrement : au moins cent fois plus que chez moi. Ca ne pose pas de problème. Ces cinquantenaires seront éternellement jeunes.



vendredi 21 novembre 2008

The recklessness


On n'est pas là pour rigoler. Même si, en d'autres circonstances, l'image de ce type semblant revenu de tout, portant l'uniforme du noctambule citadin au milieu d'un sous-bois, peut paraître incongrue voire franchement comique, elle prend une toute autre dimension après l'écoute du contenu. Le noir, pour commencer. Il grignote le peu de blanc qui persiste, il irradie, tel une lumière négative. Et puis le thème : L'imprudence. Celle qui tourne la virée en errance du petit matin ? Celle qui révèle le fond, enfoui sous le vernis de la civilité ?

L'imprudence en tant que perte du contrôle. Tout le disque tend à démontrer cet état, à le chercher. Imaginez-vous devant une section de cordes, des types et des filles qui n'ont eu que rigueur et labeur comme éducation musicale, et tout ça pour atteindre un niveau honnête (la compétition dans cet univers fait froid dans le dos), et votre but, c'est de les utiliser pour déraper, pour plomber, pour souffler sur les chansons, les éteindre, les lancer au vent. De bons musiciens à transformer, de la batterie au piano de Steve Nieve en passant par les violons, même si est intégré un petit grain de folie avec le guitariste Marc Ribot. Bashung n'a pas écrit un opéra rock, même si Othello est cité, mais une symphonie rock. Si les musiciens dérapent, celui qui les écoute ne fait pas mieux. Tétanisé par tant d'arrangements, d'expériences, le corps ne réagit plus, les pensées divaguent. Survaguent. Sur vagues.

Car, bon, c'est Bashung, Bashung et son écriture surréaliste fascinante. Ses paroles coulent tellement loin de la production usuelle que la tentation de les laisser s'exprimer telles quelles semble évidente. Pourtant, je ne les retiens jamais. Je les connais, je peux les dérouler à l'unisson du maître de cérémonie, mais leur sens m'échappe. Seule compte leur sonorité. A l'inverse d'un Léo Ferré qui mettait ses poèmes en musique, Bashung transforme les notes en mots. Même si au final les formes paraissent semblables, les intentions de ces deux déclameurs divergent. Et puis, si sens il y a, chez Bashung, il est toujours double, réversible. Rêves en vers, à l'envers : "Un jour j'irai vers l'irréel".

On n'est pas là pour rigoler, le type en noir rappelle que si il faut parler du Spirit Of Eden de Talk Talk, c'est toujours avec déférence et respect. C'est pour ça que son Imprudence rappelle les constructions alambiquées et cotonneuses de Talk Talk, ces deux disques immenses que sont Spirit et Laughing Stock. Mais qu'est-ce qui fait un grand disque ? Plus qu'une somme de musiciens, ne serait-ce pas la perte du contrôle, laisser la créature gambader ou tout dévaster ? Si celle de Frankestein ne s'était pas évadée, le roman de Mary Shelley aurait-il été réussi ? Pour son Tout sera comme avant, Dominique A. a repris la même équipe que celle de L'imprudence. Raté.

Si ça se trouve je me vautre complètement. Je n'ai rien compris et j'échafaude des idées très loin de la réalité et de la conception de ce disque. C'est pas grave, mes états solides et gazeux ne devraient pas changer à chaque réécoute de cet album. Et puis au diable la prudence.


vendredi 14 novembre 2008

Blondie en concert


Je ne sais pas si ce sentiment arrive également à mes semblables. Après tout, il est extrêmement rare de dévoiler notre part profonde, et ce malgré tous nos efforts de communication, ne serait-ce que parce qu'expliquer une sensation ne donne jamais un tour d'horizon satisfaisant de l'état global dans lequel on se trouve au moment t : il manque toujours un élément, à commencer par tout ce qui a pu se passer avant d'en arriver là, le vécu. Forcément personnel. Il m'arrive donc - heureusement fort rarement - d'être atteint par un vide total, imbattable, inattaquable. Rien, même pas ce qui compte le plus au monde, peut extirper mon moral de cette vanité sans fond. Tout est vain. Pourquoi vivre ? Pourquoi continuer ? Pourquoi s'acharner, se débattre et débattre sans cesse ? La dernière fois que ce cauchemar a débarqué, j'étais dans une file d'attente de la Poste. Me sentant progressivement devenir aussi immobile que la vitrine de timbres de collection qui trônait au milieu de la salle, privant les pourvoyeurs / receveurs de colis d'un confort pourtant mérité, mon cerveau forcément malade me fit le tour de cochon d'une association d'idées propre au maniaque de disques, et je tombai sur un vieux hit qui n'avait rien à faire là, encore moins que la vitrine de timbres de collection : Heart Of Glass.

Illico presto (enfin, après avoir réussi à quitter la Poste), je fouine à la recherche de mon unique Blondie, un live. Période punk, entre deux concerts, un de 1978, un autre de 1980. L'ironie de la situation m'amuse. Qu'y a-t-il de plus creux qu'une blonde peroxydée, qui, de plus, navigue dans l'inutilité de la disco, minaude et annihile le moindre de ses musiciens ?

Et pourtant non. Si ironie il y a, c'est bien le groupe qui l'affiche en carte de visite, retenant l'attitude des quatre trublions de The Who : à fond les manettes, jouir au maximum, et se foutant de tout. Y compris de l'appartenance à un quelconque mouvement. Entre pop rétro et influences électroniques récentes (le clavier de Kraftwerk a tout chamboulé), Blondie s'éclate, Blondie larsen, Debbie Harry s'époumone, les spots font suer. Contagieusement, les morceaux s'allongent, s'enchaînent, virent au punk, la salle semble se transformer en soirée arrosée : l'arrogance est totalement absente.

Le nihilisme, finalement, n'a qu'une issue : la fête (à moins que ce ne soit le contraire). Je le sais, une blonde pas creuse malgré son corps de lapine l'a scandé il y a près de trente ans, en morceau final, une reprise de Iggy et Bowie, un titre qui disait "all aboard for funtime".


mercredi 5 novembre 2008

Une heure par semaine: The Twilight Zone




Un passionné de lecture qui manque cruellement de temps libre se retrouve seul dans New-York après un cataclysme nucléaire. Un couple perdu dans une petite ville se devient esclave d'une machine diseuse de bonne aventure. Un champion de billard affronte le seul adversaire qu'il n'a jamais pu battre alors que celui-ci est mort depuis longtemps. Une jeune femme dans un lit d'hôpital attend de savoir si l'opération de la dernière chance lui a rendu un visage normal. Toutes ces personnes ont un point commun, elles sont entrées sans le vouloir dans la Quatrième Dimension.

Cette Dimension est née dans l'esprit de Rod Serling en 1958. Lors d'un show nommé Westinghouse Desilu Playhouse il met en scène l'histoire d'un homme persuadé d'avoir été téléporté à Peal Harbour le jour de l'attaque de la base par les japonais en 1941. Même si l'épisode déroute les spectateur (à tel point que Desi Arnaz, le producteur, apparaît à la fin de l'histoire pour "expliquer ce qu'il vient de se passer"), il devient le pilote d'une anthologie fantastique, The Twilight Zone, qui est diffusée pour la première fois en 1959.

The Twilight Zone devient assez vite un des rendez-vous préférés des américains, portée par des histoires à la fois simples dans leur concept et riches dans leur interprétation. Pour cela Rod Serling, bien qu'ayant toujours su garder la main mise sur sa création, n'a pas hésité à s'attacher les services de quelques uns des meilleurs auteurs de Science-Fiction de l'époque, notamment Richard Matheson et Charles Beaumont, afin de trouver des idées toujours plus intéressantes et des situations toujours plus angoissantes.

Pour servir ces histoires, il est fait appel aux meilleurs acteurs de l'époque, comme Burgess Meredith dont chaque apparition marque un épisode majeur de la série ou Ida Lupino, mais aussi, et c'est peut-être ce qui rend encore plus forte la vision de chaque épisode de nos jours, à toute une génération d'acteurs débutants qui deviendront tous des stars du petit ou du grand écran par la suite. C'est ainsi que durant les cinq saisons ont défilé dans la quatrième dimension Charles Bronson, Lee Marvin, Lee Van Cleef, Robert Redford, Martin Landau, Patrick Mc Nee, Peter Falk pour n'en citer qu'une infime partie.

The Twilight Zone est une des séries les plus importantes de son époque, et reste encore aujourd'hui parmi les meilleures oeuvres jamais créées, de par la qualité de ses histoires et la pertinence des sujets choisis (souvent les thèmes choisis sont le reflet des inquiétudes des américains ou des sujets d'actualités, de plus un épisode est consacré aux camps de concentrations, sujet qui, seulement 15 ans après la fin de la guerre, est encore traumatisant), et une des premières séries dont on peut dire qu'elle fait partie de celles qu'il faut avoir vues. Il est à noter qu'une intégrale est en cours de parution en France, comportant plusieurs épisodes inédits jusqu'ici chez nous.

samedi 1 novembre 2008

Citizens Kanards



Le rock ne constitue pas seulement un moyen de prendre une bonne dose de came musicale. Il en émerge parfois des cultes, soulevant et créant des hordes de fanatiques prêts à n'importe quelle bassesse pour obtenir une place de concert, un T-shirt ou un bootleg introuvable ("bootleg", quel sale mot, alors que "pirate" a tellement plus de classe). Cette attitude qui aveugle les jeunes rebelles et les transforme en bigots puis en anciens jeunes rebelles (pour les plus accros) me fascine. Qu'une telle aliénation, proche de l'appartenance à une secte, puisse toucher des milliers voire des millions de personnes et arriver à en transformer leur quotidien, alors qu'elle est simplement basée sur une grille d'accords, me semble relever de la pathologie. Heureusement, le culte devient avec le temps plus ridicule qu'autre chose, les yeux se décillent, et on passe à autre chose, ou du moins, on remet les grilles d'accords à leur place.

Heureusement bis, d'autres malades se fichent du culte que le refrain d'une chanson devrait déclencher, et, tout en appréciant énormément le groupe ou l'artiste vénéré, en retournent la personnalité : pas uniquement pour se moquer (les traîtres), mais aussi pour saluer et surtout, remettre en perspective l'objet de culte. Cela s'appelle de la parodie. Un exercice extrêmement périlleux, bien plus peut-être que la quête du saint riff qui tue le graal.

D'abord, il faut être drôle. Sans humour, la parodie n'est qu'un mime ou un plagiat, ce qui, dans ce cas, deviendra de la hype. Dès lors l'exercice devient farce, l'auditeur dindon, au final tout le monde perd. Non, il faut être drôle, donc, et ça, c'est loin d'être évident et donné à tout le monde : ne pas tomber dans la facilité, le graveleux - ou alors dosé, détourner les messages sans devenir une charge. Du boulot d'équilibriste.

Autre condition sine qua non : connaître l'original sur le bout des ongles, des textes aux chansons en passant par les solos. Pour ça, il faut éprouver une technique bien supérieure à l'original. Bien bien bien supérieure.

Trois exemples pour égayer mes propos : Beatallica, Dread Zeppelin et Ultra Vomit. Tandis que les deux premiers transposent des icônes du rock dans un univers totalement différent (les Beatles joués et chantés par Metallica, Led Zeppelin version reggae chanté par un clone d'Elvis Presley), les troisièmes s'attachent à parodier différents genres de métal (hihi) à l'aide de paroles pour enfants. Quand on me parle de boulangerie ou de devoirs de maths sur une batterie à triple pédale, je ris. De même, For No One renommée Four Horsemen au tempo fois deux, chantée comme James Hetfield : irrésistible.

De l'intelligence, de hautes qualités techniques, de l'humour, de l'imagination : autant dire que réussir une parodie tient de l'abnégation. Ces sauveurs (parfaitement) devraient être déclarés d'intérêt publique, rendant humains des chanteurs trop idolâtrés, ramenant les morceaux à leur but premier : le partage. La musique appartient à tout le monde. Leur mérite ne s'arrête pas là : en offrant leurs compétences au rire, ils se coupent de la création artistique pure, se permettent de se mettre à dos les fans et/ou le parodié (le parodié, gonflé d'orgueil, peut très mal supporter le ridicule), et enfin, accepter de ne passer que ponctuellement sur les platines, dans les soirées arrosées, pour le blind test de deux heures du matin. J'ai beau adorer mes trois exemples sus-cités, il ne me viendrait pas à l'idée de les écouter trois jours non stop. Des saints je vous dis.

Une preuve son et image pour Beatallica

Une autre pour Dread Zeppelin

Une dernière (tant qu'à faire) pour Ultra Vomit






samedi 25 octobre 2008

La vie sur la planète Groove



Maceo. En voilà un qui, pendant longtemps, n'a enregistré que des disques live. Et, ô oui, à bon escient. Le funk propagé ici n'existe que pour être partagé. Chanté, dansé, au volume maximum, il n'aurait aucun sens si il était confiné dans un studio, sans communion avec un quelconque public. Il faut avoir vu Maceo en concert. En vrai chef d'orchestre, il ne donne pas le la, mais le rythme. Sur un seul geste de la main, tout le monde s'arrête, tout le monde reprend, tout le monde tape dans les mains, tout le monde fait un solo, et tout le public entre en transe. Et ce dès les premières secondes. Il reprend haut la main ce qu'était capable de faire son ancien patron, James Brown en personne.

Des concerts du Godfather, Maceo n'a gardé que la joie. Même si, sur Life On Planet Groove, on reprend Georgia On My Mind, l'émotion y est presque effacée pour n'en faire revivre que la musicalité, car Maceo et sa troupe sont avant tout des musiciens. Pas des chanteurs icôniques : des musiciens qui essaient de rendre leur pulsation publique. Ce qui sort de leurs tripes sont des notes frissonnantes, celles de la sueur, du rythme, pas celles du mystique ou du tire-larmes.

Impossible de rester en place en écoutant ça, impossible même de penser aux tracas, grands ou petits. Ici, aucun luxe, calme ou volupté, tout est égalité - à commencer par les personnes -, tout est danse, tout est fête. Ici, sur la planète Groove, rien d'autre n'est accepté. Remuez tout ce que vous avez.


jeudi 16 octobre 2008

Boeufs


Souvent, bien trop souvent, le rock manque cruellement d'une distance qui éviterait de lui gonfler la tête et les chevilles : l'humour. Et je ne parle pas de la pléiade de groupes "festifs" qui prennent au sérieux leurs blagues de potache, niveau zéro degré, ou, pire, leur soi-disant engagement anti-mondialisationflicagecapitalisme. Si Zappa a toujours scruté le reste de la production d'aussi haut, c'est qu'il avait aussi ce don de se moquer de lui-même, de proposer des titres salaces qui ne manquaient jamais de mises en scène flamboyante, de faire de ses concerts garantis sans aucun trucage des spectacles vivants et interactifs ; de laisser l'imprévu débouler.

Comme Shellac, Oxes partage cet humour et cet humilité qui ne les rendent que plus sympathiques. Comme Shellac, ça fonce dans la destructuration, dans le strident, dans le groovy expérimental, le moitié imprévu, moitié prévu. Sauf que c'est deux guitares et une batterie sans personne pour y chanter quoi que ce soit. Pour quoi faire ? Des boeufs, donc, (oxes), qui affirment "Ta rue contre Wall Street" (Your Street vs. Wall Street), pas la peine d'aller plus loin, on a compris, comme le miroir en couverture. Regardez-vous, vous, les boeufs encravatés.

Décrassage d'oreille, aucune pose, aucune affiliation, invention de termes tels que math-rock pour pouvoir parler de leurs productions, voilà ce que veulent Oxes : dérouter. Et bien, j'y retourne avec joie. Et bonne humeur.

Et là, il faut leur MySpace, coco, obligé.


mercredi 15 octobre 2008

Le pays de l'araignée



Tandis que je tente désespérément de suivre mes amis qui ont envahi l'endroit comme autant de parasites, la lumière ne colle pas avec l'ambiance. Un je-ne-sais-quoi distille du malaise. Le mien uniquement, puisque tout le monde semble apprécier, riant, flirtant, dansant, même à contre-courant. Il pourrait bien s'agir de la musique. Pas entraînante pour un euro, elle englobe la salle et la ralentit, avant d'ouvrir la foule sur une table basse devant laquelle Pam se vautre, son verre à cognac gigantesque à hauteur de ses yeux.

- T'as vu le type là-bas ?
- Lequel ? je demande, ou mes yeux, peut-être, le font-ils à ma place.
- Celui avec le tricorne. Impayable !

Il y a effectivement un type en tricorne, qui n'a pas l'air de s'amuser. Lui aussi cherche du regard. Mais au loin, lorgnant vers la sortie, insensible aux remous qu'il côtoie, il doit penser à son bateau. Enfin, c'est ce que je me dis. Quoi ?

- Je disais que tu as un chouette chapeau aussi, me dit Don.

Je porte un haut de forme sanglé d'un bandana rouge vif. Et là je me souviens : Sam me l'a donné avant son départ, que nous sommes censés être en train de fêter, Sam, déjà parti, je devais lui dire un truc, un truc super important, je vais le trouver. Ah mais non, il est parti. Pourtant je suis déjà dehors. J'entends distinctement les pulsations qui sortent du bar, elles me paraissent plus claires qu'à l'intérieur. C'est normal : le groupe joue dehors, à cinq mètres de moi, comme une répète dans la rue, ils jouent pour eux, se lancent des sourires ou ferment les yeux, concentrés, ailleurs. Jusqu'à ce qu'un avion passe, et non un bateau pour tricorné, un avion, celui de Sam.

Spiderland par Slint : le disque de mes rêves.


jeudi 9 octobre 2008

Suzanne Vega. Rock School Barbey 8 Octobre 2008


J'ai un problème avec les concerts, en général je passe les deux heures qui le précèdent à me demander si ça va bien se passer, si il va avoir lieu, si le chanteur va pas être malade ou aphone ou en pleine bagarre avec le reste du groupe pour une sombre histoire de T-Shirt flous. C'est ainsi que le 8 Octobre à 19 heures je suis à Bordeaux, cours Barbey, à me poser douze mille questions stupides tout en tentant d'exorciser mes craintes en écoutant The Last Shadow Puppets.

Les portes s'ouvrent, j'entre dans la salle (je n'avais plus fréquenté la Rock School Barbey depuis la fin de mes études universitaires en 92, je dois dire que je ne suis pas convaincu par la nouvelle disposition de la salle). Le moment le plus important d'un concert, c'est celui où l'on choisit sa place, ce soir je suis au centre de salle, dans l'axe du micro, accolé à l'escalier menant aux gradins.

Le noir se fait, une voix nous annonce "Welcome to New-York City, here's Suzanne Vega". Arrive notre star, toute de noir vêtue (chapeau, veste et pantalon + un magnifique T-Shirt Gene Harlow), flanquée de Jeff Leonard qui lui sert de soliste. Pour commencer le concert, Marlene on the Wall, une des premières chansons que j'ai aimé.

Je ne vais pas vous faire la playlist complète (ce qui m'est impossible, un ou deux titres ayant échappés à ma vigilance) mais le concert s'est déroulé dans la plus grande simplicité, enchaînement de titres tous plus accrocheurs les uns que les autres (Franck and Ava, New york is a Woman, Luka en version ralentie) et d'interventions à la fois drôles et touchantes (d'un running gag sur les progrès de Suzanne en français à une explication de in Liverpool et du nombre de chansons qu'elle écrit pour les gens qu'elle aime).

La première partie du concert se finit par Tom's dinner, chantée a capella comme il se doit, avec l'aide du public, certains fredonnant lors des refrains, la plupart se contentant de taper dans leur mains. A la fin du morceau, lorsque Suzanne prononce le cathedral, un effet de reverb dans le micro suffit à donner a la chanson un coté biblique fort mérité. Après nous avoir remercié et dit au revoir, Suzanne revient nous donner trois titres en rappel (dont Calypso, je ne m'étais jamais rendu compte à quel point cette chanson est forte et simple à la fois).

Les lumières se rallument après une heure et demie de bonheur simple et intense, et je repars avec des rêves pleins la tête (principalement à cause du concert, mais aussi parce que je suis épuisé) et heureux comme jamais. Pour tout ceux qui veulent passer une vraie bonne soirée, je n'ai qu'un conseil à donner, c'est d'aller voir Suzanne Vega.

Presse-Musique 2 (octobre 2008) - VIBRATIONS: perte de signal.

Comment ce canard caquetant plutôt fier s'est-il retrouvé ainsi le bec dans l'eau ? Enfin un canard... en voilà un qui ressemble plus à un pigeon déplumé désormais; ils ont beau le tremper tous les mois dans le pot de peinture World, rien à faire, plus très vigoureuse la bête. Cette histoire - ce slogan - selon laquelle "plus une musique est métissée plus elle est belle" - forcément - commence à s'user d'elle même - limite à nous péter les glaouïs, si je puis m'exprimer ainsi.

Il y a quelques années, le mag VIBRATIONS étonnait par son éclectisme intelligent. On ne snobait pas le mainstream tout en gratouillant du côté des marges. Même si le rock le plus musclé n'a jamais été fortement plebiscité (contrairement au Hip-Hop), du moins laissait-on parfois sa chance à l'expérimental, aux curiosités soniques de nombreuses coteries. Florent Mazzoleni, en spécialiste, causait vieille soul ou néo-folk avant tout le monde. Phillipe Robert osait même les radicalités drones - consulter son Best Of de fin d'année conduisait à des découvertes parfois absconses. Las, ces Messieurs ont quitté la bête, M. Robert aligne les ouvrages de référence brillants, et Mister Mazzoleni se consacre principalement aux Black Music éclatantes.

Il demeurait encore il y a peu une raison de ne point désespérer, à savoir les papiers furieux de Gilles Tordjman, cet homme, affligé par ce qu'il nomme "l'autisme critique", un sniper, un type qui n'hésitait pas à rapprocher le clavier de Scarlatti au manche de Jimi Hendrix. Au regard du reste de la rédaction mollusque, Tordjman prenait la dimension de terroriste du verbe.

Que reste-il de nos amours ? Un panorama de musiques du monde, électro, dont on vante à longueur de colonne les vertues assimilantes - pas de place pour les rocs et les roulis, pour les dressés fiers, les anormaux. Du lait fraise, une vitrine d'agence de voyage en chansons pour oreilles pas si bêtes mais assoiffées de lisse. VIBRATIONS est une parution Suisse, elle ressemble désormais à cette bourgeoisie hélvétique ne jurant que par le voyage géographiquement lointain, ultime et unique forme de culture.

Une division de mes bataillons sensibles m'empêche cependant de ne produire qu'une méchante bile sans donner en sus une ou deux pistes optimistes. Intéressez-vous donc au travail des journalistes cités plus haut, consultez d'anciens numéros. Et puis il a ces deux petits îlots, toujours disponibles à ce jour: la chronique américaine de John Lewis, et le billet de Jackie Berroyer, qui l'air de rien, balance parfois en fin de chronique une référence discographique particulièrement iconoclaste; son dernier exploit en date : parler du nouvel album d'Albert Marcoeur, surnommé parfois le Zappa français - plutôt trempé dans le Rock In Opposition en vérité - expérimentateur de l'élasticité des mots et d'étranges échos.

*Un peu plus vif que le magazine lui-même: le Site de VIBRATIONS
*A écouter, Albert Marcoeur
*A Lire, les ouvrages de Philippe Robert: Rock, Pop, Un Itinéraire bis en 140 albums essentiels - Musiques expérimentales, une anthologie transversale d'enregistrements emblématiques - Great black music, un parcours en 110 albums essentiels -

mercredi 8 octobre 2008

Concert complet au Sin-é


J'aime les plaisirs simples. Je m'émerveille toujours devant l'anodin, le retour du printemps, les rires d'enfants, les magnétoscopes qui fonctionnent correctement. Je cultive le goût du moment, de l'instantané, j'ai une partie de ma bibliothèque mentale uniquement consacrée à ces instants bénis de mon existence qui intègrent deux critères drastiques : ne pas dépasser les trois secondes et définir un sentiment profond.

Par exemple, il m'arrive plus ou moins régulièrement de rencontrer des gens. Je parle d'inconnus, de têtes jamais vues. Parfois nos chemins ne se croisent que le temps d'un Gare de l'Est - Strasbourg Saint Denis, parfois il s'agit de futurs compagnons de longue durée. Une aura semble s'installer juste avant de commencer à lire le langage de leur corps, avant de parler. Il peut advenir n'importe quoi. La plupart du temps, les instants qui suivent plombent l'ambiance, les promesses du destin déçoivent. Mais parfois, c'est le contraire, la complicité ou la surprise s'installe, hourra, la journée n'aura pas été vaine.

Qu'ont donc pensé ces buveurs de café en voyant débouler Buckley, qui n'avait encore rien sorti à cette époque ? Ce petit ténébreux à la moue travaillée et au regard nonchalant. Allait-il gémir de la folk, aligner des recettes pop ? Pas du tout. En deux heures, le bonhomme reprend Led Zeppelin et Calling You (mais si, le tube inchantable tiré du film Bagdad Café que personne n'a vu), parodie les Doors, lance des vannes, s'amuse les doigts, cherche des notes, parle aux dieux sur tous les tons : gospel, jazz, arpèges, blues crades. Il tenait toutes ses promesses. Y compris celle d'aller trop vite.

J'espère que ces veinards ont bien enregistré tout ça dans leur bibliothèque mentale.


Concert au Sin-é


Selon la physique quantique, la matière est, paradoxalement, principalement constituée de vide. Fort de ce postulat on ne peut plus scientifique, c'est avec un aplomb non dissimulé que je vais proclamer un autre paradoxe : la musique se compose principalement de silences. Ces trucs qui ne ressemblent pas à des rondes mais à des monolithes noirs, accrochés aux lignes tels des ardoises vierges. Il y en a plusieurs sortes ; du long silence introductif qui mène à une plainte, en passant par celui qui suspend le temps avant de mieux relancer tout le monde simultanément, celui qui soupire, celui qui conclut une gamme à la recherche des ultra-sons, c'est-à-dire l'inaudible.

Avec sa voix d'ange, son jeu de guitare divin, sa reprise de Hallelujah et un album unique nommé Grace, Jeff Buckley avait tout pour devenir un objet de culte. Surtout qu'il avait tout compris aux silences. Dès Mojo Pin, ce titre qui parle d'un rêve, sa voix monte jusqu'à se taire tandis que les cordes font des harmoniques toute seule, et le blanc qui suit ressemble à s'y méprendre à une conclusion orgasmique, loin, en apesanteur, avant de tomber en chute libre, les oreilles bourdonnantes.

C'est parce qu'il est seul, dans ce café, accompagné de sa seule guitare, que la démonstration est frappante. On a beau y entendre les tasses de café tinter, on a beau savoir que le public n'était qu'une troupe de journalistes, de directeurs artistiques, invités à lancer le nouveau Kurt Cobain version romantique via ce quatre titres, Buckley éblouit. Tout est là, déjà : la dilatation du temps, l'entité homme-guitare, l'improvisation pertinente, les influences variées (Edith Piaf et Van Morrison), la voix, le théâtre.

J'attends toujours les coups de bâtons qui martèleraient le lino de ce bar sans doute branché avant que le phénomène n'entre en scène. Ces coups qui invitent le public au silence : savourez l'instant.



mercredi 1 octobre 2008

Bonnes nouvelles pour ceux qui aiment les mauvaises



Thèse : thème

Avec l'âge, l'excitation de la découverte s'effiloche, plus souvent remplacée par la déception que par l'euphorie. Les années rendent méfiant, les coups du sort - plus ou moins facilement essuyés - forcent à la prudence. On ne croit plus forcément que la passion de notre moitié soit la même, que la promotion promise ne va plus tarder, que le groupe du mois envoie sévère. Si, par malheur, une arnaque supplémentaire apparaît, les foudres s'abattent. Plus virulentes chaque fois. La colère devient un moteur. On me la fait pas, à moi. Doucement mais sûrement, je me transforme en vieux con.

Alors je pioche dans le passé, ces classiques que je ne connais pas mais dont on entend constamment parler, des références. C'est bien, mais ça n'aide pas à s'ôter cette idée de la tête : c'était mieux avant - autrement dit, je suis vraiment un vieux con. Parfois la lassitude guette. A chasser le frisson, on s'expose au froid, puis au vide. Et donc doucement mais sûrement à l'aigreur. Pourquoi se miner, de toute façon, je ne trouverai jamais mieux que mes Pixies. Seuls la fierté - toujours mauvaise, en porte à faux avec l'humilité et la réalité - et la nécessité d'une dose de came me poussent à battre le pavé. Tendu vers un seul but : retrouver ce sentiment d'esclavage volontaire, cette sensation délicieuse d'avoir trouvé le bon disque, qui va tourner, et tourner, matin, midi, soir, deux trois quatre fois d'affilée, et s'user, avant de disparaître progressivement, laissant place à l'abandon ; encore ce satané vide.

Une analyse ne serait pas superflue, puisqu'il m'est impossible de comprendre ce besoin perpétuel. Tout comme la musique elle-même m'est incompréhensible. Je ne connais que ses effets. Prenez ce Modest Mouse, par exemple. A la première écoute, c'est un disque de son temps, rien d'original, guitare, basse, batterie, chant, des cuivres, des banjos. De la pop agréable, naviguant sur la Tamise ou le Mississippi. Je pourrais citer des noms qui rappellent tel ou tel titre. Mais quel intérêt ? Il me touche, il me parle, il m'écoute. Voilà. Par quel mystère celui-là et pas un autre, adulé par d'autres ?

De toute façon, j'ai ma drogue, le reste compte peu. En ce moment, c'est celui-là, c'est tout. Je vais pas le lâcher de suite. Il me donne l'euphorie, il me susurre "Je suis neuf, tu n'es pas vieux". Comment l'être alors que l'ado attardé sourit à chaque seconde de cet album de bonnes nouvelles pour mélancoliques, qui savent que même l'excitation de la découverte s'effiloche.

Antithèse : version

C'est la rentrée. Vous avez rangé les sacs d'école, rempli le frigo, invité les amis pour la première raclette, c'est l'heure de l'apéro près de la cheminée. Pour pouvoir tranquillement discourir et raconter ses vacances, Good News For People Who Love Bad News s'installe en bande-son feutrée. Lorsque soudainement, les cordes à peine grattées annonçant la voix de canard honteux de Isaac Brock somment tout le monde de jeter un oeil sur la pluie qui bat doucement au dehors. Quelqu’un dit OGM. C’est quoi déjà ? La nuit tombe, personne ne s’en aperçoit, une nostalgie inconnue s’empare de toute la bande, à la fois sereine et diffuse, sèche et pourtant fluide, tiède, duveteuse.

Une pause clope s’impose. Ca tombe bien, ces cuivres qui déboulent en introduction de The Devil's Workday. Mais bon, l’heure est à la contemplation, c’est reparti pour une chorale neurasthénique, sortie d’une église grise, le psychédélisme suinte, en moins de temps que l’idée ait germée, vous vous retrouvez à fixer une miette de pain. Aucune importance, tout le monde en est là.

D’où provient ce poids terrible, qu’arrive-t-il à mes fonctions motrices ? Comment Tom Waits a-t-il perdu le rythme, annihilé par la contrebasse, insidieusement enfouie, rebondissant sur la voix plutôt que le contraire ?

Le disque est fini depuis longtemps. Pourtant il résonne encore. Il encercle la table, il endort les sentiments, il a pris le pouvoir, il mélange l'Anglais, la Nouvelle Orléans, la folk, la pop, le live, le studio. Sans aucun heurt.

Au retour des beaux jours, Good News For People Who Love Bad News re-tourne sur une platine quelconque. Révélation : Modest Mouse font revenir l’automne. Ils l’ont capturé.

Synthèse : thé vert

Ils l'ont capturé, le vieux con.


vendredi 26 septembre 2008

Orange


Certains groupes ne devraient pas enregistrer d'albums. Enfin, en l'occurrence, je ne parle pas des innombrables bouses qui inondent les ondes, non, je parle des albums studios. Ces albums qui poussent des musiciens à s'enfermer pendant des jours ou des mois, à faire et refaire et refaire et refaire la même ligne de basse, le moindre riff, le même couplet, dix, vingt, soixante fois, pour atteindre, enfin, le son attendu. A passer une journée entière pour vingt secondes de section de cuivres. A oublier l'heure, le jour, l'année. A se couper du monde, pour finir par sortir en pleine nuit à la recherche d'un paquet de clopes ou d'un kebab, voire même d'une corde de guitare. Et on s'étonne que certains deviennent fous.

Le gang The Jon Spencer Blues Explosion (oui, c'est long, hein ?), formé de Jon Spencer au chant et à la guitare, de Judah Bauer à la guitare et au chant, et de Russell Simins à la batterie, fait partie de ces groupes qui ne devraient pas se rendre compte que tous les vendeurs de cordes de guitares sont fermés à trois heures du matin. D'ailleurs leurs albums sonnent comme des concerts. Pas via la production ou le son (décidément cette note est complètement négative), mais les morceaux eux-mêmes : sur Orange, par exemple, ça commence par une intro qui donne le premier titre avant d'entrer dans le vif du sujet, cela se termine par une présentation des musiciens, scandant le nom du groupe par la même occasion. Et puis le dernier morceau en guise de rappel instrumental.

Seconde raison : JSBX (ça va plus vite, et par la même occasion vous aurez compris qu'on les appelle comme ça pour aller plus vite) pratique le rockabilly crade, parle plus qu'il ne chante, ressuscitant un Elvis Presley qui ferait du James Brown. Ces trois frappes ne sont pas de vrais tueurs, mais d'honnêtes artisans du groove. Parce que les trois ensemble, ça groove méchamment. Simins n'a de fin d'explorer les rythmes hip-hop sur lesquelles ses compagnons posent lascivement les quelques riffs qu'ils maîtrisent avant d'exploser les refrains sous les larsens, flingue au poing, tel Sid Vicious reprenant My Way. Blues Explosion ? Parfaitement.

Malgré quelques notes d'harmonica, quelques cordes pour faire classe, l'énergie du trio doit beaucoup plus au rap qu'au blues : Flavor tient à saluer l'homme-montre de Public Enemy, Flavor Flav. C'est donc tout naturellement que quelques albums plus tard, Acme invitera Dan The Automator (Gorillaz) et qu'un remix complet verra le jour, réalisé par des DJ de renom. Finalement, Orange fait furieusement penser au Check Your Head de leurs potes les Beastie Boys. Suons donc tous avec Orange. "That's the sweat ! Of the Blues Explosion". Yeah baby.



mardi 23 septembre 2008

Voici de la pornographie




J'imagine souvent que mon existence morne et répétitive se projette sur grand écran, alors que des spectateurs forcément anonymes s'amusent de mes déconvenues ou de mes petites victoires. Bien sûr, je fais moi-même le montage (le trajet en bagnole ne dure pas plus de quatre plans), je remanie les dialogues, remets correctement les acteurs en scène, cadre le détail important ou élargit le champ de vision, règle la profondeur de champ, et surtout, je ne laisse à personne le choix de la bande-son.

Merci à lui, Jarvis Cocker a eu la même idée : il nous a offert ce disque intemporel pour pouvoir monter nos obsessions en 35mm. Rien ne manque, de la construction des morceaux à leur agencement, des thèmes aux textes, des instruments à la production, voici clé en main une performance à géométrie variable qui illustrera la scène quotidienne de la vaisselle (Dishes) à la grande messe des infos télévisées (The Day After the Revolution) en passant par le porno du samedi soir (This is Hardcore).

Nan mais quel putain de titre, quand même. This is Hardcore. Après avoir fait la liste de toutes les illusions perdues, de s'être rendu compte qu'il n'était pas Jésus alors qu'il avait les mêmes initiales (et c'est lui qui le dit dans le déjà cité Dishes), que les fêtes n'étaient pas toujours festives, que les fins de soirées n'étaient pas toujours couronnées de succès, que les amours passées ne revenaient jamais, que les histoires se répétaient et que la vieillesse attendait sereinement de nous happer, la seule conclusion que Jarvis Cocker trouve à nous dire tient dans ses trois mots : c'est de la pornographie.

La voici couchée une bonne fois pour toutes. La construction de ce disque est parfaite : au milieu se trouve le pivot, le morceau qui donne son titre à l'album. Ce morceau lui-même se bâtit comme un scénario : pas de couplet, pas de refrain, une scène de pénétration, qui commence avec une invitation, qui continue sur une mise en place ("Dont' make a move 'til I say "Action" "), qui explose en un pic rageur, celui-là même qui, enfin, délivre le titre en le nommant ("this is hardcore"). Pile au milieu de ces six minutes trente glacées montées sur un thème rappellant fortement ceux de James Bond, trompettes en sourdine incluses.

Je l'ai dit : intemporel. Sommes-nous en plein Swinging Sixties ? En plein casino de Las Vegas, applaudissant le spectacle du Rat Pack ? Dans un club lounge ? En boîte de nuit immense réservée aux nantis ? Dans tout cela, même si la réalité est plus prosaïque : nous sommes dans un film.



mardi 16 septembre 2008

Presse-Musique 1 (septembre 2008)

Né sans internet, je fais partie des gros ringards qui consultent encore la presse musicale papier. Nonobstant la crachat du branché/copié/décalé qui m'assène régulièrement que tout se joue sur la toile (ouaaah!), mais aussi agacé par le jeune qui a tout assimilé à 17 ans de l'histoire du rock, de ses marges et qui pontifie à n'en plus finir - il connaît l'heure et le temps qu'il faisait lors de la session mythique (non pas celle-là, l'autre, la vraie, celle pendant laquelle ils ont vraiment trouvé leur son) , il sait aussi faire l'analyse sociologique complète de l'ère Post-Punk (bien entendu, il a lu tout ça en VO sur le net).

Bref, malgré le désaccord profond des cyber-briseurs de couilles menue, parlons papier.

Les Inrocks, c'est chaque semaine! C'est quand même bien, hein, les gars, on nous a trouvé un équivalent culturel à ELLE (sans les pages lingeries, c'est dommage), son Kilo de pub, son shopping éclairé, son incroyable insolence. Bon, bon, j'ai bien précisé préalablement que les Inrocks c'était mauvais, donc puis-je me permettre de sauver quelque chose de ce naufrage hebdomadaire ? Il y a ce chroniqueur, vous verrez rarement les groupes qu'il soutient en couverture, et il se nomme Stephane Deschamps. Titulaire d'on ne sait quelle carte-blanche (couche-t'il avec le boss JD Beauvallet ?), il s'obstine à scribouiller régulièrement sur moult pépites roots, souvent au rayon corde grattée. Cette semaine (en tout petit dans un coin), le gars nous présente le totalement plouc Glen Campbell. Un genre de trou du cul blanc qui a fait mousser du sucre country pop façon orchestrale dans les années 60. Après Johnny Cash, Neil Diamond, Bobby Bare, et j'en passe, voilà donc un has-been de plus qui tente un retour, mais tentant la dignité, et misant gros sur la reprise (John Lennon, Le Velvet Underground, Foo Fighters, Green Day, Tom Petty, Travis...).

A Suivre...

vendredi 12 septembre 2008

Désintégration


- Bonjour.
- Tiens, salut Cafard. Ca va ?
- Bof.
- Evidemment. Tu sais, comme d'habitude, je ne t'attendais pas. A se demander si tu es venu avant ou après l'écoute de Disintegration...
- Tout est lié, comme Ouroboros, le serpent qui se mord la queue.
- Ah commence pas, hein, ça y est, à peine arrivé tu fais chier !
- Ca a pas l'air d'aller fort dis donc.
- Et ça continue... Si t'es là, c'est pas pour rien, gros malin.
- Dans ce cas, pourquoi persistes-tu à écouter ce disque ?
- Je sais pas... Il m'apaise.
- Malgré Fascination Street ?
- Ouais. Même son rythme volontaire colle au reste. D'ailleurs je ne connais pas les titres, tout s'enchaîne, tout se tient, c'est un bloc, un rocher, une montagne...
- Un désert.
- Sûrement pas ! Trouve-moi un solo de guitare qui soit aussi pertinent et bien placé que celui de Pictures Of You et on en reparle, ok ? Trouve-moi des synthés de cette époque qui sonnent comme cette pluie rédemptrice qu'est Plainsong, trouve-moi une basse aussi omniprésente et efficace malgré sa simplicité, trouve-moi des textes aussi évocateurs malgré leur langage commun sans tourner au poème de collégien, bref trouve-moi un autre disque qui en plus mêle de l'accordéon et de la batterie tout en restant romantique, évident, universel, unique, inoubliable.
- Joy Division ? Jeff Buckley ?
- C'est pas pareil. Tu marques deux points, mais tu perds de vue que Disintegration construit un monument, celui censé terminer la carrière de The Cure. D'ailleurs le dernier titre n'en a pas. Et puis rien n'y est morbide ou triste, aucun apitoiement, au contraire, toujours sur la corde raide, en équilibre au-dessus des sentiments. Pleinenement vivant alors que les cauchemars s'accumulent, optimiste sous un discours pessimiste... Lullaby me ferait presque rire. Un disque sur le rêve, hors des contingences, y compris les plus intimes. Ah ! Là, tu trouveras pas.
- (silence) C'est pas faux...
- Tu vois ? T'as rien à faire ici, allez, circule !
- J'aimerai le réécouter.
- Non, non, certains disques s'écoutent seul, celui-ci en fait partie, il est à moi, juste à moi, file je te dis. Et ne reviens pas.
- Ca, c'est moi qui décide.
- Pas sûr.
- A la prochaine. Fais gaffe à toi.
- T'inquiète. J'ai des amis.


vendredi 5 septembre 2008

Hawaï


2000. Tandis que le rock s'enlise dans des machines souvent trop grandes pour lui ou décide de jumper sans cesse (quitte à perdre tout sens musical et toute réflexion) et que le rap devient commercial, se muant en r'n'b (NDLR : j'écris avec des gants), la chanson française revient en force grâce notamment à la loi des ratios radios. Je ne lancerai pas de débat à ce sujet même s'il est légitime. Par contre c'est également à cette période que sort le premier album de Java, un quatuor parisien de, mh, disons, rap-musette. Ce que les noms composés peuvent être pratiques parfois. Car oui, le chant est la plupart du temps rappé, et la musique se place dans la grande tradition de la chanson française réaliste de l'après-guerre, basée sur un accordéon omniprésent.

Hawaï se pose en réaction. D'abord comme une réelle ode à une identité carte postale de la France, entre l'appartement de la Mère à Titi de Renaud, les paroles crues de Piaf, l'univers de Gainsbourg (Le Ramsès, véritable hommage à Melody Nelson tant dans le fond que la forme), les films de Bertrand Blier et le cinéma des années 70, et les Français des bistrots et de l'apéro. Ensuite comme un retour aux origines du rap et du rock : la contestation.

Exemple : "De toute façon aujourd'hui, tout l'monde en a rien a foutre des couplets ! Ils veulent juste un refrain à reprendre comme des abrutis." Et oui : dommage que le salace l'emporte parfois, une écriture plus fine aurait assurément fait de cet album une pépite. Cela ne nuit pas pour autant à l'originalité de ce disque, ni à sa bonne humeur, ni à sa colère de gréviste du capitalisme, ni au flow paresseux du chanteur. Hawaï, une destination de rêve qui restera une piqûre de rappel bienvenue à l'encontre de la soupe populaire.



dimanche 31 août 2008

Nous sommes tous des assassins

The Smiths. Meat is murder



- Patrick on a un problème pour le prochain numéro
- Qu'est-ce qu'il y a Christian?
- Il manque 4 pages pour boucler la maquette et personne n'a d'idées
- C'est pour Décembre ?
- Oui pourquoi?
- On fait une liste des meilleurs albums de l'année, on raconte deux trois anecdotes sur certains d'entre eux, une interview du premier et ça roule.
- Attend mais c'est pas bête ça, comment j'y ai pas pensé tout seul?
- On peut même faire mieux, je viens de lire un article sur le bug prévu pour le nouvel an, tout le monde a oublié que la fin du siècle c'est l'an prochain, on va faire les 100 meilleurs albums des 100 dernières années, on peut facilement faire dix pages dessus.
- Oui mais dix pages ça fait trop, on a la place que pour 4.
- C'est pas grave, vire l'interview de la blonde, là, Britney machinchose, de toutes façons tout le monde l'aura oubliée en Août.
- Bon on fait comme ça. Mais on met qui dans la liste?
- Rien de plus simple, tu mets deux ou trois Beatles, autant de Rolling Stones pour fâcher personne, un Velvet Underground...
- Du Pixies aussi?
- Bien sur du Pixies, et Nevermind aussi, pour jouer dans la continuité.
- Et en numéro un, on met quoi ?
- Du Smiths.
- Quel album?
-Meat is murder, c'est de loin le meilleur du groupe.
- C'est vrai que c'est quelque chose comme album. Barbarism begins at home fait éclater au grand jour le talent d'Andy Rourke à la basse et les guitares d'How soon is now magnifient à la fois le perfectionnisme de Morissey et le phrasé de Johnny Marr.
- Pour Barbarism on peut aussi souligner la dénonciation des châtiments corporels en vigueur dans l'éducation britannique.
- Et aussi l'hymne végétarien qui donne son titre à l'album.
- Et l'utilisation de samples, c'est assez rare dans la pop de l'époque pour être souligné.
- C'est vrai que ces cris d'animaux allant à l'abattoir en ouverture de Meat is murder ça glace le sang.
- Et la pluie hivernale sur Well, I wonder, on a vraiment l'impression d'être à Manchester un soir de Novembre.
- Dites les gars il y a quand même un problème dans tout ça.
- Tiens Thierry t'étais là ?
- Ça fait dix minutes que je vous écoute, je suis d'accord pour dire que Meat is murder est un des albums les plus importants de son époque, mais aux yeux du grand public on va pas pouvoir justifier de mettre un groupe quasi inconnu devant le White Album ou Beggar's Banquet.
- Oui mais c'est The Smiths quand même, c'est le groupe le plus influent des années 80.
- Attendez j'ai une idée pour mettre tout le monde d'accord. On met The Queen is dead, comme ça on a le groupe et avec Alain Delon sur la couverture on peut mettre un passage sur les artistes anglo-saxons qui ont le bon goût d'apprécier la France.
- Tu sais que c'est bon ça, Patrick? Bon on fait tout ça demain, en attendant je vous offre le repas.

mercredi 27 août 2008

Repose-toi, tête lasse, ça va aller



Lorsque je n'étais que collégien, notre professeur d'histoire eut l'idée géniale d'évaluer le programme sur l'histoire de l'art en nous projetant une diapositive de tableau. Un tableau qu'il fallait analyser (techniques utilisées, thèmes, style) avant d'en trouver finalement l'auteur. Bien sûr ce tableau nous était alors totalement inconnu, le bougre avait soigneusement évité de le soumettre à nos yeux plus trop innocents, déjà. Ne connaissant rien de ce groupe, excepté qu'il s'agit de leur premier album, je vous convie au même exercice.

En premier lieu, le titre et le nom se confondent, nous promettent repos, peut-être même de la médication. Serait-ce un groupe de médecins ? Mmh, je m'égare, voyons donc pourquoi ce disque devrait être remboursé par la sécurité sociale : ça commence par une petite introduction quasi instrumentale ténue, avec xylophone et accordéon, avant de se transformer en pop débridée. Puis le chant mime Radiohead (mince, ça va pas nous remonter le moral, ça), ou bien, tiens, on dirait soudainement du Beirut toute trompette dehors, ah et là du Divine Comedy, ici du Bright Eyes avec plein de choeurs, maintenant le violon de Yann Tiersen, et non, c'est pas possible, une reprise acoustique du Born Slippy de Underworld.

Et puis c'est quoi ces nombreux titres à rallonge ? Serait-ce un album anonyme de Sufjan Stevens ? Avec une mélancolie dominante, je ne me sens pas beaucoup plus en forme. Mais reposé, oui, c'est pas faux. Pas moins de seize morceaux ; un long repos. Un long voyage folk et country, dans l'air du temps, qui a bien étudié son 16 Horsepower autant que son Goran Bregovic.

Au bout du compte, l'exercice mène à du name dropping, quelle vacuité. Par contre je ne me suis pas ennuyé une seconde à l'écoute de cet album varié et vivant, celui d'un groupe de très bons élèves encore trop respectueux pour oser s'affirmer. Allez, montrez-vous, Get Well Soon. Sortez vos griffes la prochaine fois : j'en serai.


lundi 25 août 2008

La cour des grandes


Je ne devrais pas chroniquer cet album. En fait je ne devrais même pas savoir que cet album existe. Si j'écris ces lignes c'est parce qu'étant fan de comics, un jour j'ai ouvert Ultimate X-Men 2. Dans la BD, on voit une image de Colossus, vêtu d'un T-Shirt noir, avec juste une inscription en jaune, Tegan and Sara. Intrigué, je me suis rendu chez un ami pour chercher sur le net qui cela pouvait être.

Je suis tombé sur l'histoire de sœurs jumelles canadiennes (Tegan est à gauche de la photo) tombées dans la musique depuis leur plus tendre enfance (premier cours de piano à 4 ans) qui décident de former un groupe pour s'amuser et ont eu un peu de chance. La chance prend la forme d'un crochet, le Garage Warz de Calgary, qu'elles ont gagné haut la main (établissant au passage un record de vote qui tient toujours), et d'une rencontre avec Neil Young qui les a signées sur son label Vapor.

En 2000 parait This Business of Art, qui est le premier album sorti pour un label (Under Feet Like Ours est sorti en auto produit l'année précédente). Il est produit par Hawksley Workman, qui rajoute à leur pop acoustique des riffs de guitares et des phrases de clavier, et prend place derrière la batterie durant l'enregistrement.

La répartition des chansons se fait sur un principe à la fois simple et efficace : celle des deux qui compose chante à la fois sur l'album et sur scène. Pour l'écriture, les thèmes sont faciles à trouver, chaque histoire racontée est une histoire vécue, que ce soit une fille qui tombe sur un cambrioleur et se demande pourquoi elle se sent coupable (The First , chanson bancale mais entraînante), une autre qui hésite à sauter le pas entre amitié et amour (My Number) , ou une troisième déchirée entre l'envie de réussir et les sacrifices que cela implique (Superstar qui se conclut par un très cynique "why don't you sign me up to sell me out").

Cet album est bon. Il n'est pas génial, il n'est pas révolutionnaire, il est bon. Tegan et Sara sont douées dans ce qu'elles font, elles font preuves d'une simplicité et d'une générosité dans leur musique qui les classe dans les artistes les plus rafraîchissantes du moment, et signent avec cet album une des promesses les plus intéressantes à tenir. Leur musique ne changera pas votre vie, mais elle la rendra sûrement plus douce pendant une demie heure.