jeudi 26 juin 2014

Incluant "Oiseaux"


En musique, il ne faut jamais rester sur des a priori. Lorsque j'ai découvert Featuring "Birds", c'est un album que j'ai trouvé très sympa. Puis je suis passé à autre chose.

Je n'ai donc aucune explication satisfaisante pour l'amour que je porte désormais à ce disque. Il ne m'a pas fallu beaucoup d'efforts, une simple réécoute a changé mon fusil d'épaule. Peut-être était-il mieux tombé, peut-être que son ambiance joyeusement pessimiste me parlait plus.

Quasi est un pur produit de rock indie, formé par un ancien couple à la ville, Janet Weiss (batteuse des furieuses Sleater-Kinney) et Sam Coomes (guitares et claviers de Heatmiser, où sévissait également Elliott Smith), débutant dès 1993 dans leur banlieue de Portland. Featuring "Birds" est leur second disque pour le label indépendant Up Records de leur ville, enregistré et diffusé en 1998.

Oui, ça remonte, mais il n'est jamais trop tard pour la découverte. Imaginez, je suis nul en Megadeth, en Creedence Clearwater Revival, en Charlie Mingus et j'en passe.

Sur la forme, c'est forcément un peu brouillon, un peu vaporeux, un peu bruyant ; on est chez les indés. Mais cela n'a pas d'importance, c'est sans doute même l'objectif. Surtout qu'avant les guitares, c'est le clavier qui prédomine. Un clavier qui sonnerait comme un clavecin des années 60 et épaulé par une batterie virtuose. Le jeu de batterie de Weiss me ravit, et c'est sans doute une des raisons pour laquelle j'aime autant ce disque (pour d'autres batteuses ravissantes, voir Prince, Lenny Kravitz et Helms Alee, entre autres).

Le tout est résolument pop et enjoué. La marque de fabrique de Quasi, c'est peut-être de ne jamais commencer un morceau tel qu'il finit, mettant toujours en danger les idées développées, ne cédant rarement qu'au couplet-refrain. La voix de Coomes transpire l'humilité, reste un poil nasillarde et toujours dans les hauteurs, mais pas autant que Sting ou Daniel Balavoine.

Sur le fond, c'est très drôle. Car très déprimé. L'exemple le plus flagrant de cette scission antinomique apparaît au début de la chanson California : quelques lents accords de clavier accompagnent l'assertion "La vie est idiote et grise, au mieux elle est à peine correcte, mais je me réjouis de vous annoncer que la vie est également courte" avant d'exploser en hymne de terrain de basket, limite foire (mais on est pas chez les Dresden Dolls quand même), où il est question d'être content d'être en Californie et de déconner avec les touristes.

Toutes les paroles sont de cet acabit. Il suffit de lire les titres. On commence avec "Notre bonheur est garanti" pour terminer par "Seul le succès pourrait maintenant me faire échouer". Mais dans la joie, on valse même en chantant "You Fucked Yourself", on croone sur l'abandon total de "I Gave Up", qui se clôt trop abruptement pour ne pas faire sourire. Ce bonheur aliéné n'est interrompu que par deux minutes de réels chants d'oiseaux, le "Birds" du titre de l'album.

Par contre je m'interroge toujours sur la nature de cette pochette, de son but final. Une timbale chinoise cérémoniale destinée à contenir du vin (jusqu'à la lie ?). Quasi semble en tout cas avoir trouvé la solution à la frustration quotidienne et aux grands obstacles de la vie (rupture, maladie...) : la transcender par de la musique rythmée et des chants communicatifs. Comme dans une comédie musicale.



lundi 23 juin 2014

Faune siffleur, es-tu le destructeur ?


Ils ont toujours existé, mais j'ai l'impression qu'ils sont de plus en plus nombreux : les artistes multi-instrumentistes seuls maîtres à bord et auto-producteurs ont pas mal percé dans les années 2000. Avant, il y avait Elliott Smith, Prince, Beck, même Stevie Wonder. Et puis sont arrivés les Conor Oberst (plus connu avec son groupe Bright Eyes), Andrew Bird, Sufjan Stevens et Kevin Barnes de Of Montreal. Il doit y en avoir moult autres.

Notez bien que ce n'est pas un groupe canadien, mais de Athens en Géorgie, berceau des romantiques R.E.M. Tout comme ses collègues cités plus haut (jetez donc une oreille à Illinoise de Sufjan Stevens, c'est un excellent disque), Of Montreal partage cette pop alambiquée et musicalement riche, que ce soit en nombre d'instruments ou en arrangements, cherchant sans cesse à ajouter des couches partout, à rallonger les titres des chansons (exemple : le premier single s'appelle "Heimdalsgate Like a Promethean Curse", mais son refrain qui enchaîne le même mot 'chemicals' est plus facile à retenir ; oui, cela parle de médicaments), à enchaîner les morceaux sans bouffée d'air possible.

Et pas seulement les titres, mais également les albums. Hissing Fauna, are you the destroyer ? est le huitième album de Of Montreal, et il date de 2007. Depuis, ils en ont sorti cinq autres ainsi qu'un recueil de premiers titres. Pour illustrer cette foisonnante activité, les pochettes et les présentations des disques suivent le mouvement : dessins baroques surchargés de détails, colorés, rappelant les hippies, le psychédélisme des années 60, le rococo. Bref, ça déborde à tous les niveaux.

Il faut donc un certain temps pour s'habituer à cet univers chamarré, mais Hissing Fauna fait un peu exception : l'album est plutôt sombre malgré ses refrains endiablés et son rythme trépidant que rien n'arrête (quasi impossible de couper le disque une fois lancé, tout s'enchaîne trop vite), arrivant dans une période de dépression de Kevin Barnes, sa pochette est surtout noire, et le titre pivot de onze minutes rappelle Kraftwerk, de l'electro martiale et répétitive. Malgré tout, la voix ne peut pas se transformer à ce point, et la chaleur et la détresse qui en suintent n'ont jamais la noirceur de la cold-wave. La suite ressemble par moments à du Prince. J'adorerai mettre certains passages pour faire danser les foules.

Comme toujours lorsque je me sens blasé de tout, un objet unique apparaît, et même s'il appartient à un monde nouveau et déjà fourni qui m'est totalement inconnu, il ouvre des perspectives, comble des creux, ose les influences passées sans honte. Le rock est vieux et je me dis presque quotidiennement qu'il est mort, mais il renaît trop souvent pour qu'il ne continue pas malgré tout. Peu importe sa simplicité, il peut se métisser à l'envi. Il mute, il évolue, comme toute forme de vie.