vendredi 26 septembre 2008

Orange


Certains groupes ne devraient pas enregistrer d'albums. Enfin, en l'occurrence, je ne parle pas des innombrables bouses qui inondent les ondes, non, je parle des albums studios. Ces albums qui poussent des musiciens à s'enfermer pendant des jours ou des mois, à faire et refaire et refaire et refaire la même ligne de basse, le moindre riff, le même couplet, dix, vingt, soixante fois, pour atteindre, enfin, le son attendu. A passer une journée entière pour vingt secondes de section de cuivres. A oublier l'heure, le jour, l'année. A se couper du monde, pour finir par sortir en pleine nuit à la recherche d'un paquet de clopes ou d'un kebab, voire même d'une corde de guitare. Et on s'étonne que certains deviennent fous.

Le gang The Jon Spencer Blues Explosion (oui, c'est long, hein ?), formé de Jon Spencer au chant et à la guitare, de Judah Bauer à la guitare et au chant, et de Russell Simins à la batterie, fait partie de ces groupes qui ne devraient pas se rendre compte que tous les vendeurs de cordes de guitares sont fermés à trois heures du matin. D'ailleurs leurs albums sonnent comme des concerts. Pas via la production ou le son (décidément cette note est complètement négative), mais les morceaux eux-mêmes : sur Orange, par exemple, ça commence par une intro qui donne le premier titre avant d'entrer dans le vif du sujet, cela se termine par une présentation des musiciens, scandant le nom du groupe par la même occasion. Et puis le dernier morceau en guise de rappel instrumental.

Seconde raison : JSBX (ça va plus vite, et par la même occasion vous aurez compris qu'on les appelle comme ça pour aller plus vite) pratique le rockabilly crade, parle plus qu'il ne chante, ressuscitant un Elvis Presley qui ferait du James Brown. Ces trois frappes ne sont pas de vrais tueurs, mais d'honnêtes artisans du groove. Parce que les trois ensemble, ça groove méchamment. Simins n'a de fin d'explorer les rythmes hip-hop sur lesquelles ses compagnons posent lascivement les quelques riffs qu'ils maîtrisent avant d'exploser les refrains sous les larsens, flingue au poing, tel Sid Vicious reprenant My Way. Blues Explosion ? Parfaitement.

Malgré quelques notes d'harmonica, quelques cordes pour faire classe, l'énergie du trio doit beaucoup plus au rap qu'au blues : Flavor tient à saluer l'homme-montre de Public Enemy, Flavor Flav. C'est donc tout naturellement que quelques albums plus tard, Acme invitera Dan The Automator (Gorillaz) et qu'un remix complet verra le jour, réalisé par des DJ de renom. Finalement, Orange fait furieusement penser au Check Your Head de leurs potes les Beastie Boys. Suons donc tous avec Orange. "That's the sweat ! Of the Blues Explosion". Yeah baby.



mardi 23 septembre 2008

Voici de la pornographie




J'imagine souvent que mon existence morne et répétitive se projette sur grand écran, alors que des spectateurs forcément anonymes s'amusent de mes déconvenues ou de mes petites victoires. Bien sûr, je fais moi-même le montage (le trajet en bagnole ne dure pas plus de quatre plans), je remanie les dialogues, remets correctement les acteurs en scène, cadre le détail important ou élargit le champ de vision, règle la profondeur de champ, et surtout, je ne laisse à personne le choix de la bande-son.

Merci à lui, Jarvis Cocker a eu la même idée : il nous a offert ce disque intemporel pour pouvoir monter nos obsessions en 35mm. Rien ne manque, de la construction des morceaux à leur agencement, des thèmes aux textes, des instruments à la production, voici clé en main une performance à géométrie variable qui illustrera la scène quotidienne de la vaisselle (Dishes) à la grande messe des infos télévisées (The Day After the Revolution) en passant par le porno du samedi soir (This is Hardcore).

Nan mais quel putain de titre, quand même. This is Hardcore. Après avoir fait la liste de toutes les illusions perdues, de s'être rendu compte qu'il n'était pas Jésus alors qu'il avait les mêmes initiales (et c'est lui qui le dit dans le déjà cité Dishes), que les fêtes n'étaient pas toujours festives, que les fins de soirées n'étaient pas toujours couronnées de succès, que les amours passées ne revenaient jamais, que les histoires se répétaient et que la vieillesse attendait sereinement de nous happer, la seule conclusion que Jarvis Cocker trouve à nous dire tient dans ses trois mots : c'est de la pornographie.

La voici couchée une bonne fois pour toutes. La construction de ce disque est parfaite : au milieu se trouve le pivot, le morceau qui donne son titre à l'album. Ce morceau lui-même se bâtit comme un scénario : pas de couplet, pas de refrain, une scène de pénétration, qui commence avec une invitation, qui continue sur une mise en place ("Dont' make a move 'til I say "Action" "), qui explose en un pic rageur, celui-là même qui, enfin, délivre le titre en le nommant ("this is hardcore"). Pile au milieu de ces six minutes trente glacées montées sur un thème rappellant fortement ceux de James Bond, trompettes en sourdine incluses.

Je l'ai dit : intemporel. Sommes-nous en plein Swinging Sixties ? En plein casino de Las Vegas, applaudissant le spectacle du Rat Pack ? Dans un club lounge ? En boîte de nuit immense réservée aux nantis ? Dans tout cela, même si la réalité est plus prosaïque : nous sommes dans un film.