Ca a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'était normal, en même temps, je ne connaissais rien, excepté ce qui passait à la radio, ce qui avait du succès dans les cafés, les bus scolaires, les boums. Rick Astley, U2, Madonna, Kylie, I Love To Love, Bananarama... Mais j'aimais bien Phil Collins. Et surtout, j'avais vraiment accroché à Mama, ce titre oppressant de Genesis, avec le rire démoniaque au milieu. Un single bien étrange. Oh bien sûr, il n'eut pas sur moi le même impact que le clip de Ashes To Ashes de Bowie, mais il me plaisait. J'aimais la batterie sur ce morceau. Un ami m'a expliqué que le chanteur était aussi le batteur, et qu'avant, c'était Peter Gabriel le chanteur de Genesis, tu sais l'album So avec le batteur de Police sur un titre, et donc oui, passe-moi Foxtrot, je suis curieux de les connaître avant Solsbury Hill et In the air tonight.
Ce fut l'engrenage, plus rien ne fut comme avant. J'étais devenu accro. A Genesis, à son Supper's Ready, à ses voix cristallines, à ses moments de rage, à sa batterie imaginative, à ses envolées instrumentales, à ses histoires étranges. Chaque chanson est un conte ou un poème, une fable, et toutes sont pleines de forêts, de fontaines, de demis-dieux, d'escargots, de thé, de boîtes à musique, de géants... Ca changeait des voyous auto-proclamés qui arboraient leurs badges de AC/DC ou de Scorpions, tirant la tronche de circonstance. Des titres qui n'hésitaient pas à durer plus de quatre minutes, qui ne faisaient pas de couplets-refrains, qui se moquaient d'être dans un moule, tu parles que ça m'a changé.
Le rock progressif de Genesis collait bien avec les jeux de rôles et les romans que je lisais à ce moment-là, ils étaient la bande-son de nos parties, illustrant autant l'héroïc-fantasy que le fantastique ou l'horreur. Mais bizarrement, les autres groupes classés dans cette catégorie ne sont jamais rentrés dans mon panthéon personnel (à part Can, peut-être, ce n'est pas encore certain). Car j'entrais dans une nouvelle lubie.
A cause du dernier album fait à cinq têtes, The Lamb Lies Down On Broadway, Genesis m'a ouvert la voie vers le rock tout court, celui des Doors, des Smiths et de Faith No More, ce fut l'engrenage de l'engrenage, une avalanche inexorable : me voilà aussi maudit que tous les autres qui, un jour, se sont rendus compte qu'ils avaient besoin d'écouter des disques quotidiennement sous peine de tomber malade.
Première écoute de The Lamb : hou il est bien celui-là, il va tourner longtemps, ah ah c'est super ! Sauf que vingt ans après cette première écoute qui me laissa dubitatif mais enchanté, il tourne toujours, je n'en ai pas fait le tour, il ne ressemble toujours à aucun des autres disques du groupe : sombre et urbain, aux titres courts et expérimentaux, racontant une seule histoire au fil des vingt-trois morceaux, histoire que je n'ai jamais vraiment comprise, et débarrassant Gabriel de costumes de renard ou de fleur pour avoir enfin l'air normal, celui d'un voyou avec un badge de AC/DC. Certains passages sont résolument teigneux, guitares saturées devant et batterie soutenue, tout comme d'autres qui viendront sur les albums suivants (comme Eleventh Earl Of Mar ou Dance On A Volcano). Peut-être bien qu'elle est là, la genèse du métal progressif. D'ailleurs, joué intégralement en concert comme sur le Archive 67-75, il sonne encore mieux.
Mon prof d'histoire de l'époque nous expliqua que la Terminale portait extrêmement mal son nom. Elle ne termine rien, mais lance la vraie étude, l'entrée dans la vie en tant que personne réfléchie. Il en est de même avec The Lamb. Il apprend que tous les genres de musique valent le coup, quels que soient la durée, le rythme, la langue, les instruments utilisés. Tant qu'ils racontent des histoires avec conviction et qu'on se donne la peine de les écouter.
P.S. Merci à Louis-Ferdinand Céline pour le début de cette chronique.