vendredi 4 septembre 2015

SOMETIMES THE NERD GETS THE GIRL*




SOMETIMES THE NERD GETS THE GIRL .*



it all began with that guy who worked at the BuyMore.



En préambule à cette histoire il convient d'éclaircir un point lexical propre au monde des séries. Le terme shipping désigne la façon dont, que ce soit du fait du scénariste ou de l'imagination du téléspectateur, la relation entre les héros d'une série ou d'un film va tendre vers un aspect plus ou moins intime et le chemin scénaristique qui va y mener. (Il est à noter que, en dehors du coté ironique de la chose, l'expression mener en bateau est la plus pertinente pour traduire shipping en français). Les exemples les plus connus sont David Addison et Maddie Hayes dans Moonlighting, Rick Castle et Kate Beckett dans Castle ou Mulder et Scully dans X-Files . Pour une plus ample compréhension du terme je ne saurais que trop vous conseiller de visionner le passage de la série Episodes ou Matt LeBlanc explique à Stephen Mangan et Tamsin Greig pourquoi le personnage principal féminin de leur série ne peut pas être lesbienne par rapport aux attentes du public américain.
 
Chuck est une série créée par Chris Fedak et Josh Schwartz qui a été diffusée entre 2007 et 2012 sur NBC. Il y a une quinzaine d'année être diffusé sur NBC signifiait avoir un bon accueil critique, une certaine qualité dans l'écriture et une assurance d'être dans les shows les plus regardés à la télévision. De nos jours, si l'accueil critique et la qualité restent constante le public est parti ailleurs, ce qui assure surtout à la série la certitude de ne pas avoir de certitudes.

Au moment où la série débute, Charles Irving Bartowski, alias Chuck (Zachary Levi), fête ses 25 ans. C'est le prototype du nerd coincé dans une vie qu'il n'aime pas, il travaille en tant qu'expert au service informatique du BuyMore de Burbank, spécialisé dans la maintenance de la micro informatique et de la téléphonie, et selon ses propres dires sa vie s'est arrêtée quand il a été exclu de Stanford suite à des accusations de tricherie portée par son colocataire d'alors Bryce Larkin (Matt Bomer), lequel en a ensuite profité pour lui voler sa petite amie Jill. Depuis Chuck tourne en rond entre son travail, sa sœur Ellie (Sarah Lancaster) et son futur beau-frère Devon «Captain Awesome » Woodcomb (Ryan McPartlin), chez qui il vit depuis la disparition de ses parents et son meilleur et à peu près seul ami Morgan Grimes (Joshua Gomez), jusqu'au jour où Bryce Larkin se rappelle à lui sous la forme d'un email codé contenant la mémoire d'une base de données de la CIA appelée Intersect qu'il a dérobée puis envoyée à son ancien ami. En ouvrant le message Chuck va se retrouver avec l'Intersect implanté dans la mémoire et devenir à la fois un intérêt stratégique et un atout majeur pour le gouvernement américain, qui va lui envoyer deux de ses meilleurs agents, le major John Casey de la NSA (Adam Baldwin), assassin dont l'efficacité sur le terrain n'a d'égale que le manque total de qualités sociales et l'espionne Sarah Walker (Yvonne Strahovski), qui va servir de chaperon à Chuck sur le terrain tout en agissant comme sa petite amie afin d'assurer sa protection dans la vie de tout les jours.

Il serait facile de considérer Chuck comme une série d'action pour les jeunes adultes et les post-adolescents vu qu'elle en embrasse une bonne partie des codes. Et le fait est que sur cette partie la série se défend plutôt bien, assurant une histoire efficace, des scènes d'actions bien menées et une mythologie cohérente bien qu'un peu tirée par les cheveux à certains moments. Pour aider en cela les auteurs peuvent s'appuyer sur une équipe d'acteurs de très bon niveau, emmené par le couple vedette Yvonne Strahovski/ Zachary Levi, qui semble réellement habiter leurs personnages tant leur relation à l'écran paraît réaliste. Les autres ne sont pas en reste, Adam Baldwin creuse ici encore un peu plus le filon qu'il avait ouvert dans Firefly dans la parodie de héros d'action sans remords ni émotions, Joshua Gomez est parfait dans le rôle du meilleur ami et confident du héros, apportant de plus son potentiel comique, et ce dès la scène d'introduction. Sarah Lancaster et Ryan McPartlin tirent eux le maximum de leurs rôles, que ce soit la sœur qui se démène pour que Chuck sorte enfin de l'impasse sentimentale et professionnelle dans laquelle il se complait depuis trop longtemps ou le futur beau-frère beaucoup trop parfait pour cacher ses failles et ses peurs. Quand au personnel du BuyMore, auquel Chuck sert à la fois de motivateur, de boussole morale et bien trop souvent de seule forme de vie intelligente disponible, le moins qu'on puisse dire est que rien de bon ne devrait en sortir, pourtant Big Mike (Mark Christopher Lawrence) arrive à toujours être le chef qu'il est censé être malgré ses efforts multipliés pour faire exercer ses obligations par ses subordonnés, et Jeff Barnes et Lester Patel (Scott Krinski et Vik Sahay) réussissent l'exploit de rester totalement appréciable malgré toutes les bassesses dont ils se montrent capables au long des 5 saisons, au point d'arriver à être pardonnés de leurs méfaits sans jamais réellement savoir comment c'est venu.

La vraie plus-value de la série tient à ce que dès le départ Chris Fedak a bien pris en compte le shipping potentiel autour de ses deux héros et a décidé d'en faire l'axe de développement de son histoire. Pour cela, au lieu d'agir comme il est de coutume et de bâtir petit à petit une relation qui va aller vers l'amitié puis l'amour, il provoque le coup de foudre dès leur première scène commune (il me faut préciser que ceci est une interprétation personnelle et que même si il est effectivement dit par les deux personnages qu'ils s'aiment depuis leur première mission en commun il n'y a aucune précision temporelle sur le moment exact.) et va ensuite jouer avec les nerfs de nos héros en semant des clous sur la route du bonheur.

La première, et plus sérieuse, des difficultés tient au fait qu'aucun des deux ne peut réellement exprimer ses sentiments envers l'autre, Sarah pour la raison qu'en temps que protectrice de Chuck elle ne peut avoir de relations autres que professionnelles avec lui au risque de mettre sa carrière et leurs vies en danger et Chuck parce qu'il ne croit tout simplement pas qu'une fille comme Sarah puisse avoir des sentiments pour quelqu'un comme lui, ce fait étant aggravé par son incapacité à formuler simplement ses sentiments où à poser les questions les plus évidentes.

Ensuite vient le fait qu'au début de la série, plus que deux personnages, c'est deux mondes totalement différents qui s'opposent lorsque nos deux héros se rencontrent. Chuck a le cœur sur la main, il se refuse à blesser moralement ou physiquement qui que soit et sa première réaction en mission est de protéger tout le monde, quitte à se mettre en porte à faux vis à vis de Sarah et Casey. De plus il a la faculté d'accorder très facilement sa confiance aux gens qu'ils croisent et de pardonner à ceux qui le trahissent, ce qui dans le monde dans lequel il est plongé s'avère souvent plus suicidaire que bénéfique. Sarah, de son coté, a passé toute sa vie a se méfier des gens qu'elle croise, et ce bien avant son entrée à la CIA, son père arnaqueur  n'ayant jamais hésité à la mêler à ses combines ni à l'inciter à mener ses propres affaires. Dès lors le jeu qui va s'instaurer va être pour chacun d'essayer d'aider l'autre à s'ouvrir a un monde qu'il ignore, Sarah en poussant Chuck à prendre confiance en ses capacités réelles et à ne pas croire les gens qu'ils ne connaît pas, Chuck en incitant Sarah a réaliser qu'il existe autour d'elle des personnes sur qui elle peut compter et s'appuyer sans réserve.

Deux autres facteurs plutôt inattendus vont aussi freiner l'évolution de l'histoire de Chuck et Sarah. Le premier est  Bryce Larkin, qui de façon inattendue joue un rôle dans le passé de chacun de nos héros. En plus d'être celui qui a ruiné les plans d'avenir de Chuck, Bryce est le dernier partenaire en date de Sarah quand celle-ci vient à Burbank approcher Chuck, et il devient vite clair que leur relation ne s'est pas arrêté au plan professionnel. Dès lors Bryce va devenir une sorte de mur dressé entre nos deux héros, que ce soit par la simple évocation de ses actions passées ou par ses interactions directes avec l'équipe de choc et il faudra bien du temps pour venir à bout de tout ce qu'il a laissé en suspens par ses actions.

La deuxième nuisance est le BuyMore de Burbank, le lieu même ou travaille notre petite troupe, qui de part sa capacité nuisible n'est pas sans rapprocher notre héros d'une célèbre tueuse de vampires. A l'instar du Sunnydale de Buffy Summers, le BuyMore de Chuck est l'exemple parfait de ces endroits où rien de bien ne peut arriver mais dont aucune échappatoire n'est envisageable, le pire étant que même la destruction est inefficace car le magasin sera reconstruit au final, ce qui le rend encore plus diabolique que la bouche de l'enfer.

Au final Chuck est une série qui n'a pas forcément eu la reconnaissance qu'elle méritait, la principale raison étant qu'elle était diffusée sur une chaîne que plus personne ou presque ne regarde aux USA , ce qui fait que les créateurs ont du souvent lutter pour la garder en vie, avec des soutiens plus ou moins attendus, comme la décision du groupe Subway de sponsoriser le show après une campagne de mobilisation des fans et des acteurs eux-même. On peut aussi avouer que le show n'est pas exempt de défauts dans la construction de l'entourage de Chuck et dans la gestion de certains évènements, le principal étant le déroulement de la troisième saison et de son arc majeur, en ceci qu'il ne fait qu'enfoncer un peu plus dans le cerveau du téléspectateur les faits qui lui ont déjà été exposé dans les deux précédentes, ceci étant aggravé à mon gout par le choix de donner le rôle pivot de la saison à Brandon Routh là où il aurait été plus efficace de choisir Mark Andreas Sheppard (une fois encore, ceci est une opinion personnelle, je trouve juste que Routh manque du charisme nécessaire à s'imposer en figure autoritaire). Néanmoins on pourra accorder a Chuck la force d'avoir su jongler avec les paradoxes, présentant un héros gentil sans que ce soit un handicap, peinant à avoir de l'audience mais bénéficiant d'un soutient inconditionnel de ceux qui l'ont regardé, s'appuyant sur la culture geek sans jamais s'en servir pour ridiculiser ses héros et, peut-être le plus important, réussissant à me faire vous vanter un show entièrement basé sur le shipping alors que c'est la technique que je déteste le plus dans le monde des séries.

*extrait de Chuck versus the cougars. (S02E04)