mercredi 8 octobre 2008

Concert au Sin-é


Selon la physique quantique, la matière est, paradoxalement, principalement constituée de vide. Fort de ce postulat on ne peut plus scientifique, c'est avec un aplomb non dissimulé que je vais proclamer un autre paradoxe : la musique se compose principalement de silences. Ces trucs qui ne ressemblent pas à des rondes mais à des monolithes noirs, accrochés aux lignes tels des ardoises vierges. Il y en a plusieurs sortes ; du long silence introductif qui mène à une plainte, en passant par celui qui suspend le temps avant de mieux relancer tout le monde simultanément, celui qui soupire, celui qui conclut une gamme à la recherche des ultra-sons, c'est-à-dire l'inaudible.

Avec sa voix d'ange, son jeu de guitare divin, sa reprise de Hallelujah et un album unique nommé Grace, Jeff Buckley avait tout pour devenir un objet de culte. Surtout qu'il avait tout compris aux silences. Dès Mojo Pin, ce titre qui parle d'un rêve, sa voix monte jusqu'à se taire tandis que les cordes font des harmoniques toute seule, et le blanc qui suit ressemble à s'y méprendre à une conclusion orgasmique, loin, en apesanteur, avant de tomber en chute libre, les oreilles bourdonnantes.

C'est parce qu'il est seul, dans ce café, accompagné de sa seule guitare, que la démonstration est frappante. On a beau y entendre les tasses de café tinter, on a beau savoir que le public n'était qu'une troupe de journalistes, de directeurs artistiques, invités à lancer le nouveau Kurt Cobain version romantique via ce quatre titres, Buckley éblouit. Tout est là, déjà : la dilatation du temps, l'entité homme-guitare, l'improvisation pertinente, les influences variées (Edith Piaf et Van Morrison), la voix, le théâtre.

J'attends toujours les coups de bâtons qui martèleraient le lino de ce bar sans doute branché avant que le phénomène n'entre en scène. Ces coups qui invitent le public au silence : savourez l'instant.



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