Parce qu'après tout, parmi mes groupes favoris, certains ne savent pas jouer : The Velvet Underground, Joy Division, Pavement, Sonic Youth... Le punk ne vient-il pas de là, en réaction à tous ces types qui font du rock progressif (souvent ampoulé, rempli d'arabesques complexes à reproduire), à ceux qui se lancent dans des solos interminables de blues-rock, à ceux qui groovaient pendant des heures sans se lasser ? Le punk dit non au formatage, non aux études (ou alors "non aux studieux"), c'est pas parce qu'on n'a aucune compétence qu'on a rien à dire. Le jazz aussi vient de là, la rue. Et des disques de ces deux genres ont changé la face du monde.
Il faut de la motivation, des gens qui acceptent de vous accompagner, et un peu d'investissement, ne serait-ce que pour le matériel et le local. Le local, c'est le Graal. Puis il faut trouver sa voie. Le volume, la langue, l'attitude, la mouvance, voire les fringues. Se définir et s'identifier par rapport aux autres losers qui essaient de faire du rock (mais d'une autre catégorie) dans le local adjacent.
C'est là que ça devient intéressant. Parce que pour arriver à sortir du local, jouer sa première scène (de préférence devant un bar un 21 juin), il faut réussir à s'harmoniser, à trouver son son, ce qui fait que le groupe est unique. Même quand il ne s'agit que de reprises copiées-collées, il faut faire passer une personnalité. Le passage obligé, c'est lorsqu'il y a cohésion. Quand ça s'emboîte, chaque protagoniste à sa place, faisant partie d'un tout. Une entité capricieuse dont chacun est responsable, précisément au même instant t. Quand ça sonne et que le rendu est plaisant... je ne peux que comparer ça à un orgasme multiple.
Ce sont les meilleurs moments, autant pour les joueurs que pour les spectateurs. Même si ça arrive pendant le refrain de (I Can't Get No) Satisfaction.
A l'inverse, enregistrer un disque en studio est un véritable crève-coeur. Séparés, attendant des heures pour régler les micros et les amplis, jouant seul, reprenant vingt fois le même passage, se mettre tout nu devant une console aussi froide et déterminée que le HAL de 2001 l'Odyssée de l'espace, le groupe doit se faire humble. Accepté d'être aspiré de sa substance pour en faire un produit, un bout de plastique reproductible à l'infini (mais pas autant parce que bon, ça coûte, un pressage), des fichiers qui tiennent sur une clé USB. C'est un peu traumatisant. D'ailleurs je ne connais pas de musicien qui écoute son disque pour le plaisir. L'accouchement est trop douloureux, ce n'est pas moi, ce n'est pas nous, ce n'est pas notre groupe, c'est le résultat créé par le mix et le master. Personnellement, je préfère réécouter les répètes.
Voilà de quoi il est question dans Dies Irae, le double live de Noir Désir capturé lors de la tournée marathon de Tostaky, de ces moments avant le studio. Et je sais de quoi je parle, j'y étais. Après ça, après ce sommet (la descente de Noir Désir commencera juste après), mes potes et moi n'avions qu'une envie : monter un groupe. Vous voulez de la personnalité, une identité, une cohésion, de la puissance, de la voix tonnante ou frémissante, de la rage, de la reprise copiée-collée meilleure que l'originale, allez-y, servez-vous. Et bonne chance pour le 21 juin, parce que dompter le rock, c'est bien plus difficile que d'en faire.
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