D'habitude, je déteste la musique de mes parents. D'abord parce que c'est celle de mes parents, c'est un principe de vie : s'affranchir. Après avoir été traumatisé par des Paris-Andorre à écouter Famous Last Words de Supertramp et le Julien Clerc du moment en boucle dans la Simca 1000, je trouve ça tout à fait normal et totalement excusable. Et oui, j'ai toujours été snob. On ne devient pas snob, on naît snob.
Sauf que parfois, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils avaient raison, y compris dans leur discothèque. J'ai donc écouté plus que de raison une compile de ballades des Beatles dans mes tendres années, quand je lisais les manuels des Castors Juniors. Mais on n'échappe pas à ce groupe absolument présent partout, dans tous les articles, toutes les références, tous les reportages INA, tous les cours d'histoire, tous les clins d'oeil, tels des publicités, des tampons, des fers rouges. Impossible de leur échapper, même mon arrière-grand-mère connaît les Beatles.
Je me suis contenté de leurs années rebelles, les boys band ne m'intéressent pas. Et tout en haut de leur oeuvre, je ne garderai réellement souvenir que de deux disques immenses et inusables : Abbey Road et ce The White Album, qui date de 1968.
Depuis, je me suis coltiné l'écoute de l'intégralité de leurs quatorze albums. J'ai zappé les Anthology mais j'ai aussi jeté une oreille sur Let it be... naked. Je dis quatorze, mais en fait, les quatre premiers sont remplis de filler tracks, ces chansons bouche-trous qui peuvent être soit des titres faibles soit des reprises de standards de Chuck Berry ou de la Motown. L'époque ne valait que pour les singles. Et puis Yellow Submarine et Magical Mistery Tour sont de faux albums, plutôt des EP. Tout ça pour bien faire le tour une fois pour toutes, pour être sûr, pour m'en débarrasser, pour confirmer ce que je pensais depuis plus de quinze ans : le Blanc et Abbey Road. Et à la rigueur, Revolver et Rubber Soul. Pas plus. Même si indéniablement il y a des titres magnifiques dans leurs débuts, tels que She Loves You, Ticket To Ride, I'm A Loser, Yesterday et j'en passe (de vrais prodiges, total respect man), les Beatles offrent leur raison d'être dans ces deux sommets.
La mutation commence avec Rubber Soul mais dans le Blanc, ils trouvent à la fois le moyen de s'affranchir de leurs fans et celui de se dégager de leur propre entité. Le groupe se désagrège, chacun des quatre membres enregistre ses prises seul. A quelques exceptions près, dont leur meilleur titre, tous albums confondus (assertion subjective) : Happiness Is A Warm Gun. Ce titre vaut des albums entiers, des discographies complètes. Il permettra d'ailleurs aux Beatles de continuer, leur participation collective donnant envie à Mc Cartney de retourner vers un son live, de retrouver une cohésion, une jeunesse au groupe.
Abbey Road sera l'affranchissement avec leur passé : dernier disque enregistré ensemble, il signe la fin du groupe mais de manière plus qu'élégante, trouvant l'alchimie entre les compositions étranges du Blanc et la cohésion de Revolver. Et vaut donc sans doute comme leur meilleur disque.
Ce que ne peut certainement pas être The White Album, qui déborde d'egos, passe du coq à l'âne, mélange tout, n'a aucune ligne de conduite. On passe d'un twist à du reggae, d'une parodie de blues pleine d'humour au premier titre heavy-metal de l'histoire du rock (Helter Skelter), de la ballade la plus légère à un fatras sonore. L'intérêt réside là : si vous n'aimez pas les Beatles, écoutez leur double album blanc. Car rien ne ressemble moins au Beatles - ou plutôt à l'image publicitaire omniprésente des Beatles - que ces trente titres rassemblés sous une non-pochette. Vierge d'image, vierge de texte. Seulement rehaussée d'une signature, celle d'une révolution.
Quel joli choix, quelle justesse : rien ne résume le contenu, fou sanglé dans une camisole de force, à part peut-être une idée, celle d'avancer et d'expérimenter au maximum. The White Album est un cadeau, le plus beau qu'ils ont fait : une page blanche. Ils ont balancé la sauce, les sauces, les instruments, les coupages, les modes d'enregistrements, les vocaux, les textes, ils ont tout mixé, tout remué, et donné le résultat final comme étant non pas une mais trente directions à suivre.
Vous connaissez Divine Comedy ? Il a refait Martha My Dear des dizaines de fois. Le jazz ? Blackbird a été reprise par le Hendrix de la basse, Jaco Pastorius. J'ai déjà parlé du métal et de l'avant-garde. Bien sûr, quand les Beatles géraient la société des années 60, Zappa officiait déjà dans les Mothers of Invention, mais finalement, il était incapable de faire une chanson pour le grand public, pour tout le monde. Si cela arrivait, le texte était suffisamment scabreux pour ne pas passer sur les radios et être fatiguant au bout de quatre écoutes.
Aventureux, généreux, difficile à suivre et à défricher-déchiffrer, usant comme tout adolescent en train de s'affranchir, le double blanc demande de l'attention. Laissez tomber son incidence historique : il reste riche. Oubliez que ce sont les Beatles : il n'a rien en commun avec les Fab Four de Liverpool.
Merci les gars.
3 commentaires:
clap-clap !!
Bonne analyse.
Et Sergeant Pepper?
Merci Yochbell ! Bon sang mais pourquoi n'ai-je plus de notifications ?
Sergent Pepper est très bien mais trop propre sur bien des points. Il y a ce côté concept album qui le retire un peu de la liste, il est trop particulier pour être pris comme un album normal de la discographie, c'est une expérience qu'il ne faut pas suivre, mais admirer.
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